Le Nepad, le Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique a été adopté aussi bien par la majorité des pays africains que par les pays occidentaux. Les ballets aériens autour du NEPAD aux quatre coins du monde, les multiples réunions qui lui sont consacrées y compris celle du G8, les déclarations optimistes unanimes que suscite cette nouvelle initiative auraient été de bon augure si deux hiatus de taille n’en ternissaient la crédibilité et la viabilité.
Le premier hiatus tient au mode de financement de ce partenariat. Il repose sur la communauté internationale, les investissements directs étrangers (Ide) et le secteur privé. Par ce mode de financement, l’Afrique adopte le néolibéralisme de la mondialisation comme stratégie de développement. Or, la mondialisation, qui est caractérisée par de vastes mouvements de capitaux, exigent un environnement productif, technologique, financier, institutionnel et structurel que les pays d’Afrique sub-Saharienne ne possèdent pas. Quatre conditions doivent préalablement être satisfaites par tout pays candidat à l’insertion dans le marché global.
La première condition est liée au degré d’industrialisation du pays et à la part des produits industriels dans le volume de ses exportations. Sur ce chapitre, la croissance industrielle en Afrique sub-Saharienne est passée de 8 % dans les années 1960 à moins de 1 % dans les années 1990. La part de l’Afrique dans le commerce mondial qui était de 3 % en 1990 n’est plus que de 1,4 % dont la quasi-totalité est relative à des produits de base et des matières premières. La seconde condition a trait à l’accès du pays au marché des capitaux et à la technologie. Les pays du continent noir n’ ont accès ni à l’un ni à l’autre. Les seules sources de financement dont ils disposent proviennent de fonds bilatéraux et multilatéraux.
Au troisième rang des conditions sine qua non à l’insertion d’un pays dans le marché global figure le montant des investissements directs étrangers (Ide) qu’il reçoit. Ces financements dépendent des marges bénéficiaires que les investisseurs, particulièrement les multinationales, entendent tirer de leurs mises. En règle générale, le taux de rentabilité interne sur les investissements étrangers directs a été en moyenne en 2000, selon le Bureau d’analyse économique des Etats Unis, de 19,4% en Afrique comparé à 18,9% au Moyen Orient, 15,1% en Asie-Pacifique, 8,3% en l’Amérique Latine et 10,9% en l’Europe. Mais en dépit de la supériorité de ses marges bénéficiaires, l’Afrique n’a attiré que 1,1 milliard de dollars d’investissements étrangers directs en 2000 comparés à 1,9 milliard de dollars pour le Moyen Orient, 21 milliards de dollars pour l’ Asie-Pacifique, 19,9 milliards de dollars pour l’Amérique Latine et 76,9 milliards de dollars pour l’Europe. Et cette part de l’Afrique ne s’illustre pas seulement par sa modicité, ne représentant que 0,6% du montant des investissements directs étrangers dans le monde en 2000, mais également par sa concentration, ne bénéficiant qu’à un nombre limité de pays, notamment le Nigeria, l’Angola et le Mozambique et ne finançant que des investissements dans l’exploitation des ressources naturelles, particulièrement le pétrole et les minerais, perpétuant la dépendance de la région et son appauvrissement résultant d’une exploitation systématique de ses ressources sans la contrepartie d’investissements productifs, de créations d’emplois et d’exportations de biens manufacturés. Les lois qui gouvernent l’investissement ne sont plus seulement fonction de rentabilité et de risques quand on en vient à l’Afrique sub-Saharienne. Le préjudice racial fait aussi partie des paramètres à intégrer dans les décisions d’investissement quand il s’agit des Noirs. Et en toute logique, pourquoi les pays industrialisés s’embarrasseraient-ils d’investir en Afrique quand ils peuvent disposer des ressources du continent, de ses bases militaires et de l’allégeance de ses dirigeants sans bourse délier ?
La quatrième condition à remplir est relative à la libéralisation de l’économie. Les privatisations qui sont à la base des programmes de libéralisation, se sont faites en Afrique sub-Saharienne, en dehors du cadre traditionnel des offres d’actions des sociétés à privatiser sur les marchés boursiers. Il n’existe de marchés boursiers qu’en Afrique du Sud, Côte-d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Kenya, Namibie, Zimbabwe, Ile Maurice, Ouganda, Tanzanie. Les offres publiques de vente assurent des cessations plus lucratives, une plus grande transparence, stimulent la mobilisation de l’épargne interne et le retour des capitaux exilés. Dépourvues de ces offres, les privations n’ont été en Afrique que de pures et simples liquidations. Ceci est particulièrement vrai dans les pays de la zone franc où la dévaluation de Janvier 1994 du franc CFA avait réduit à la potion congrue les prix d’achat des actifs publics. En guise d’illustration, entre 1988 et 1994, les pays de la région ont cédé 550 établissements parapublics au secteur privé pour une somme de 2,4 milliards de dollars contre 113 milliards de dollars pour les autres pays en voie de développement. A ce manque à gagner, il convient d’ajouter l’absence de ré-injection d’investissements sous forme de retour des capitaux exilés à l’instar de ce qui s’est passé en Amérique Latine et en Asie. Salomon Brothers, la banque américaine d’investissements, a estimé à 40 milliards de dollars l’afflux de ces types de capitaux Amérique latine en 1991. Ce flux s’est monté à 56 milliards de dollars pour la Chine de 1989 à 1991.
En Afrique, il n’en a rien été. Pourtant, la Cnuced estime que pour chaque dollar de capital net qui entre en Afrique su-Saharienne, c’est 1,06 qui en sort au titre des pertes dues à la détérioration des termes de l’échange, du service de la dette, du rapatriement des bénéfices des entreprises qui engrangent mais ne réinvestissent point, des réserves obligatoires fixées à des niveaux excessifs et des capitaux en fuite – 40% de l’épargne africaine sert à financer les déficits budgétaires des pays de l’Ocde. Selon le Financial Times, les fuites de capitaux africains étaient estimées, en 1991, à 135 milliards. Le retour de 10 % de ces capitaux aurait représenté plus de douze fois les investissements étrangers directs en Afrique.
En outre, la violation permanente des règles du commerce international par les pays industrialisés, qui imposent, par le biais du Fonds monétaire international (Fmi), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (Omc), l’ouverture des marchés Africains à leurs produits industriels et à leurs produits agricoles subventionnés, a conduit à la faillite les agriculteurs et les entrepreneurs du cru et institutionnalisé la famine.
Le deuxième hiatus porte sur le financement des quatre secteurs choisis : les infrastructures, l’agriculture, l’éducation et la santé qui constituent le programme opérationnel du Nepad. Il importe de noter que l’endettement colossal de 335 milliards de dollars dont est redevable le continent a servi, en grande partie, à financer depuis quarante ans ces mêmes secteurs avec les résultats catastrophiques que l’on sait. La raison en est que, en l’absence d’accès aux marchés des capitaux, les pays du continent noir n’ont pas eu d’autre solution que de sous-traiter leur développement avec les institutions de Bretton Woods et la Banque africaine de développement, seules sources de financement qui leur restaient si l’on exclut les financements bilatéraux. Les prêts que ces institutions accordent à l’Afrique sont passés dans le langage courant sous le vocable d’“ aide ”. Or de toutes les sources de financement disponibles, l’ “ aide ”, est la moins appropriée pour financer le développement d’un pays. En effet, les crédits sont utilisés pour acheter exclusivement les biens et services proposés par les pays prêteurs. Les projets financés, loin de promouvoir le développement, servent au contraire à remplir les carnets de commandes des firmes occidentales et à enrichir les élites des pays bénéficiaires. Les crédits octroyés peuvent aussi payer des arriérés d’intérêts qui donnent accès à de nouveaux crédits.
Quand on connaît la traînée de destruction, les exactions et les injustices sociales qui sont le pedigree de la mondialisation aussi bien dans les pays industrialisés que dans ceux dits émergents comme l’Argentine, le Brésil, le Mexique, la Corée du sud, la Thaïlande, l’ Indonésie ou les Philippines en dépit de leur état d’avancement économique et technologique comparé à celui des pays sub-Sahariens, on peut douter de la sagesse de livrer, avec l’adoption du Nepad, l’Afrique, un continent exsangue, aux fourches Caudines de la mondialisation. Même l’Afrique du Sud, le seul pays du continent à disposer d’un appareil productif compétitif à l’échelle mondiale, loin de bénéficier de la mondialisation, en est plutôt la victime. Elle a vu, depuis l’accession de l’Anc au pouvoir, les fleurons de ses entreprises de pointe déserter la bourse de Johannesburg, qui compte pourtant parmi les plus complexes du monde, au profit des bourses de Londres ou de New york. Une telle désaffection pénalise l’Afrique du Sud à plus d’un titre. Elle est à l’origine de tensions politiques, le Cosatu, l’organisation syndicale alliée de l’Anc, considère comme anti-patriotique cette fuite massive de capitaux blancs. Elle lamine ses rentrées fiscales et elle contribue à l’affaiblissement du rand, la monnaie du pays qui a perdu jusqu’à 40% de sa valeur contre le dollar en Décembre dernier.
Le plan de développement dont l’Afrique a besoin suppose une agriculture prospère et un secteur industriel à même de satisfaire ses besoins internes en matière d’alimentation, d’habitat, d’habillement, l’intégration des marchés locaux étriqués et des capacités d’exportation. Les politiques pouvant mener à tels résultats ne peuvent se faire sans subventions, protectionnisme, ré- appropriation des actifs publics stratégiques bradés, recours à la législation et à la jurisprudence pour l’annulation d’une dette injustifiée : des mesures aux antipodes des règles édictées par la mondialisation. Le Nepad va faire des Noirs des étrangers dans leur propre continent, ne dirigeant et ne contrôlant rien, même pas le contenu de l’éducation de leurs enfants, la nature de leur agriculture ou le type de santé qui leur convient. Ces prérogatives demeurent l’apanage des institutions de Bretton Woods comme maîtres d’ouvrage des programmes à réaliser sous le contrôle total des multinationales et, avec, comme préposés à la vente aux enchères, des dirigeants africains, dignes héritiers des roitelets du terroir qui livraient leurs sujets aux négriers en échange de verroterie et autres pacotilles.
SANOU MBAYE
Economiste sénégalais
basé à Londres