Sommaire :
PREAMBULE
De tout temps le commerce et l’investissement ont toujours été au cour des activités économiques des pays et de la formation des richesses des nations. Que la mondialisation ait fait de la libéralisation du commerce mondial et de l’investissement son credo n’aurait offusqué personne si ce cycle économique de capitalisme débridé n’avait pas fait de ces deux médium un outil de domination, d’injustice, d’inégalité, de saccage de l’environnement et des biens communs de l’humanité par des intérêts privés, particulièrement ceux des sociétés transnationales.
Avec le Sommet ministériel de Cancun au Mexique qui va se tenir du 10 au 14 Septembre 2003, l’OMC dont le rôle devait être de tenter de remédier à certains de ces excès, va au contraire, comme de coutume, opter pour un mode plus secret et moins transparent de consultations. Le processus est caractérisé par la flexibilité, c’est-à-dire que les procédures sont inventées au coup par coup pour répondre aux intérêts des puissants. Le Secrétariat et les Présidents des organes de négociation contrôlent étroitement le processus au lieu de jouer leur rôle de simple facilitation, et ce sont les ministres qui sont mis en avant, et non les experts techniques de Genève, plus familiers avec le langage très technique et ses embûches cachées.
Les délégations africaines doivent refuser de se laisser enfermer dans cette stratégie de l’opacité et s’en tenir à l’engagement pris par les pays industrialisés, il y a 18 mois à Doha, de consacrer l’ordre du jour des négociations de Cancun au développement en l’axant sur des questions relatives à l’agriculture, aux patentes pour les médicaments et au traitement spécial dont ont besoin les pays en voie de développement. Avec la reconnaissance implicite que la libéralisation vient après le développement et non avant, les représentants du groupe africain doivent mettre l’accent, au cours de ces discussions, sur les spécificités africaines et tout faire pour les placer au premier rang des négociations.
Les exceptions africaines consisteront, comme on le constatera dans les développements qui vont suivre, à penser commerce intra continental quand l’ordre du jour traitera de commerce international, assainissement financier et investissements productifs quand on en viendra à discuter d’ aide public au développement et mise à niveau des économies africaines face à une concurrence inégale quand il sera question de levée des subventions et d’ouverture de marché.
En clair, il s’agira d’obtenir des américains et des européens deux choses : la réduction de leurs subventions qui érodent la compétitivité des producteurs africains, le financement de l’éducation, des échanges de programmes et l’octroi de prêts bonifiés pour la transformation sur place des produits de base et des matières premières africains en produits finis et la mise en place de mesures sélectives de protection et de subventions durant cette phase transitoire.
LES DOSSIERS CRUCIAUX DE CANCUN
Les dossiers cruciaux sur lesquels il est important pour l’Afrique de tenir compte de ses spécificités propres pour s’intégrer de manière harmonieuse dans le commerce multilatéral et l’économie mondiale devront porteront à la conférence de Cancun sur les points suivants :
- La réduction des subventions agricoles & l’accès aux marchés pour les produits agricoles et industriels
- Les services financiers
- L’accès aux licences d’importation de médicaments génériques
- Les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM)
- L’aide publique au développement
- L’accord général sur les services (AGCS)
- Les transferts de technologie et les « joints ventures »
SPECIFICITES AFRICAINES
I. La réduction des subventions agricoles & l’accès aux marchés pour les produits agricoles et industriels ;
Les appellations qui font référence à des pays en voie de développement et à des pays les moins avancés peuvent revêtir des réalités économiques divergentes car elles incluent des pays aussi différents que la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, le Nigeria, le Sénégal et Sao Tomé et Principe par exemple. La Chine, par exemple, qui a enregistré entre 1978 et 1995 un taux de croissance économique moyen de 6% fait désormais partie des cinq économies majeures du monde avec Les Etats-Unis, le Japon, l’Inde et l’Allemagne si le critère de sélection se mesure aux pouvoirs d’achat combinés des populations de ces pays.
Certains de ces pays dits en développement, particulièrement en Asie et en Amérique Latine, ont pu, contrairement à l’Afrique, transformer le rôle qui leur était assigné dans la division internationale du travail de producteurs de produits de base en avantage de concurrence. Ils y sont parvenus en transformant sur place ces produits de base grâce à un transfert de technologie, à des investissements et à des mesures de protectionnisme et de subventions. C’est ainsi qu’ils sont non seulement autosuffisants sur le plan agricole, mais ont des surplus exportables à meilleur marché que les pays industrialisés bloquent en érigeant des quotas et en adoptant des mesures variées d’exclusion (subventions, protectionnisme, etc.).
Ces pays ont également poursuivi une politique d’industrialisation qui leur permet de produire des biens manufacturés à des coûts de production plus compétitifs que ceux des pays industrialisés. Ces derniers ont recours aux mêmes stratagèmes que pour le secteur agricole pour insula riser leurs marchés contre une concurrence qui leur serait défavorable.
La réduction substantielle des aides internes aux agriculteurs des pays riches et l’amélioration de l’accès aux marchés pour les produits industrialisés profiteraient à ces pays. En effet, plusieurs études ont montré qu’il existait un énorme potentiel dans beaucoup de pays parmi les moins développés s’ils pouvaient compter sur un environnement commercial plus favorable pour la diversification et le renforcement de leurs exportations agricoles et industrielles.
Ce n’est pas le cas de la majeure partie des pays africains qui n’ont que leurs produits de base et une base industrielle squelettique destinée aux marchés locaux.
L’AGOA (African Growth & Opportunity Act), les facilités d’exportation offertes par les Etats-Unis aux pays africains, en est une illustration manifeste. Sur les produits exemptés de droits de douane exportés par ces pays aux Etats-Unis, 95% concernent les produits pétroliers et les 5% restant des mangues, des cacahuètes et autres produits exotiques.
Pire, pour être éligibles à ce programme, les pays africains doivent s’engager à adopter le libéralisme économique et à éliminer leurs barrières douanières, s’exposant ainsi à ne plus être qu’un continent ghetto et un souk universel pour le reste du monde.
On en veut pour preuve la délocalisation des entreprises occidentales qui s’installent en Afrique pour bénéficier de sa main d’ouvre bon marché pour améliorer leur compétitivité face à des pays comme l’Inde ou la Chine.
En Ouganda, pour fabriquer des vêtements pour des marques telles que Target, Sportif USA et Gap, ces compagnies ont choisi d’importer leurs matières premières des Etats Unis parce que leur coton coûtait deux fois moins cher que celui de l’Ouganda. La raison en est que les Etats Unis ont accordé à leur fermiers l’année dernière 3 milliards de dollars de subventions selon l’International Cotton Advisory Committe basé à Washington. Les fermiers ougandais furent mis en faillite tandis que l’Ouganda ne tirait, en revanche, des facilités d’exportation américaines sous le régime de l’AGOA que 32 000 dollars de revenues d’exportation cette même année.
Pour les dirigeants africains enclins à s’aplatir devant les américains, il conviendrait de signaler que l’intérêt subit des Etats-Unis pour le continent a pour nom l’exploitation du pétrole du golfe de Guinée et les bases militaires à installer sur le continent pour protéger cette manne pétrolière et pour sa croisade contre les bases d’al-Qaida qui sont supposées être installées au Soudan, en Somalie et au Yémen.
Les Etats-Unis importent déjà d’Afrique de l’Ouest 1,5 millions de barils de pétrole par jour, le même montant qu’en Arabie Saoudite. Les Etats-Unis ont investi présentement un montant cumulé de 10 milliards de dollars en Afrique de l’Ouest dans le secteur pétrolier. Selon le Département de l’énergie américain, ces chiffres vont atteindre des montants respectifs de 770 millions de barils et 10 milliards de dollars par an.
Il n’y aurait rien à dire de ces investissements qui vont générer des revenues estimées à 200 milliards de dollars dans la prochaine décennie, la plus grande rentrée financière dans l’histoire du continent, représentant plus de dix fois ce qu’il reçoit annuellement en terme d’aide publique au développement des pays et des institutions occidentaux si :
1. l’histoire ne témoignait pas de l’échec des pétrodollars à réduire la pauvreté dans les pays en voie de développement. En Afrique, le Nigeria est un cas patent d’un tel échec. Le revenu par tête d’habitant dans ce pays est moins de 1 dollar par jour comparé à des revenus pétroliers qui se montées à plus de 300 milliards de dollars ces 25 dernières années ;
2. les multinationales pétrolières n’avaient pas réussi à torpiller le projet de « Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) » qui consistait à rendre obligatoire et publique le dévoilement du montant des revenus pétroliers perçus par les Gouvernements. La compagnie pétrolière BP s’est vue menacée d’expulsion par l’Angola quand elle s’est risquée à rendre publique un versement sous forme de bonus de 111 millions de dollars fait au gouvernement de ce pays.
Mais pour les pays africains, la réalisation des objectifs de développement passe par l’élimination de la pauvreté rurale et de la faim. L’objectif à Cancun sera de négocier un soutien à l’agriculture vivrière et à la transformation sur place des produits de base grâce aux mesures suivantes :
- le recyclage des revenus pétroliers et des revenus locatifs des bases militaires dans des politiques d’autosuffisance alimentaire. En effet, il est à espérer que les Africains éviteront, comme ils l’ont fait pour la France, de donner leurs bases sans compensation financière ;
- le recours à l’Accord sur les sauvegardes de l’ OMC, qui prévoit des mesures « d’urgence » lorsque des importations menacent de causer un dommage grave à la production nationale du membre importateur. La mesure de sauvegarde est une mesure temporaire, destinée à aider les producteurs nationaux à s’adapter à la concurrence venant des importations. Il importe de mentionner que les Etats Unis n’ont pas hésité à recourir à cette clause pour augmenter les droits de douane des importations d’acier sur le sol américain de 30% pour protéger leur sidérurgie. Les Japonais en ont fait autant pour protéger leur production rizicole et exclure l’importation des pommes américaines. Les Européens, quant à eux, ont mis en place la Politique Agricole Commune (PAC) ;
- la mise en place d’une union douanière et d’un marché commun sous l’égide de l’Union Africaine pour faire du commerce inter régional africain le premier levier de croissance économique et de développement ;
- un accroissement des Investissements Directs Etrangers (IDE) et un retour massif des capitaux exilés ;
II. Les services financiers
S’agissant de services financiers, il importe de noter qu’ autant les Asiatiques, particulièrement les Chinois et les Indiens se sont révélés extrêmement performants dans le domaine du marché des capitaux, autant les Africains sont, quant à eux, de piètres opérateurs dans ce domaine.
Il n’existe qu’une dizaine de marchés financiers dans tout le continent et en dehors de l’Afrique du Sud, leurs valeurs boursières et leurs activités sont minimales. Dans les pays de l’UEMOA, les activités de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) en témoignent. L’absence d’une culture boursière, une méconnaissance totale des pratiques financières aussi bien au niveau des entreprises que du grand public, font que les Etats et les Entreprises locales continuent d’emprunter auprès des banques commerciales à des taux d’intérêt prohibitifs qui étouffent toute forme d’activités économiques et toutes perspectives d’expansion au lieu de lever des fonds sur le marché boursier à des taux plus compétitifs.
A force de parler de la dette que l’Afrique doit aux institutions de Bretton Woods, on en est arrivé à occulter un endettement plus important et des pratiques plus à lier à l’usure qu’au financement banquier et qui sont le fait des banques commerciales opérant en Afrique. Elles appliquent les taux d’intérêt et les commissions plus élevés du monde, font leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices en finançant les importations de pétrole, de denrées alimentaires et de biens d’équipement avec des prêts à court terme sous l’oil bienveillant de Banques Centrales qui n’ont de banques centrales que le nom, particulièrement la BCEAO et la BEAC qui ne sont que des relais du Trésor français.
A ces handicaps s’ajoutent la baisse des pouvoirs d’achat et les hausses des prix induites par l’application du Tarif Extérieur Commun (TEC) qui s’est traduite par un relèvement des tarifs douaniers et par un émiettement de la compétitivité des entreprises locales au sein des espaces UEMOA et CEMAC, conséquences tragiques des tentatives contre nature de créer des unions économiques et monétaires à rebours en commençant par établir une monnaie unique
Le mal touche aussi les particuliers qui bénéficient d’un certain niveau de revenus qu’ils gagneraient à placer sur des titres porteurs tels que ceux de la SONATEL et d’autres entreprises privées de la région et non à exiler leur épargne à l’étranger.
Le résultat de toutes ces déficiences est que, seules les compagnies étrangères et les entreprises privatisées profitent de la manne boursière en levant des fonds à travers des emprunts obligataires sur les marchés boursiers africains tout en bénéficiant des largesses de leurs pays d’origine en matière de réescompte et autres facilités.
Les négociations de Cancun n’apporteront pas de solutions à ces problèmes. Il appartient aux dirigeants africains de prendre les mesures requises. Elles consisteront en un énorme travail d’éducation à faire, de culture et de réformes à mettre en place en vue de la dynamisation des marchés boursiers existants et l’accroissement de leurs nombres avant que les investisseurs institutionnels que sont les banques et les compagnies d’assurances se décident à souscrire des bons émis par les Etats africains pour le financement de projets de développement et par des entreprises pour financer leurs programmes d’expansion.
Pour ce faire, l’Afrique aurait tout intérêt, plutôt que d’espérer une quelconque aide des pays riches dont les objectifs sont de privatiser toutes les prestations de service, de profiter de la crise économique et boursière qui secoue les pays industrialisés et de leurs conséquences sur l’emploi des opérateurs boursiers, en particulier « les traders », pour offrir des incitations de retour pour ses ressortissants qui opèrent dans les marchés des capitaux européens et américains.
Les ministres du commerce africains se doivent d’obliger, en concertation avec leurs collègues des finances, les banques commerciales opérant en Afrique d’aligner leurs pratiques sur les procédures de leurs maisons mères. Une manière efficace est encore de voter des lois qui ouvrent les capitaux des banques étrangères à l’Etat et aux particuliers qui, siégeant au sein des conseils d’administration de ces dernières, auraient toute latitude d’influencer les politiques de prêts de ces dernières. Quant aux banques centrales, il serait grand temps qu’elles jouent leurs véritables rôles de régulateurs et de superviseurs des banques dont elles ont la tutelle en vue de promouvoir la mise en place des fondations adéquates d’économies performantes.
III. L’accès aux licences d’importation de médicaments génériques
Un accord sur la santé publique et sur la propriété intellectuelle est un des objectifs de Cancun. Les industries pharmaceutiques ont accepté, sous la pression de l’opinion publique internationale et des procès qui leur ont été intentés, d’ouvrir l’éventail des maladies et de ne pas les limiter au sida, à la malaria et à la tuberculose. Mais les difficultés persistent quant aux pays qui bénéficieraient de licences d’importation de médicaments génériques en cas de nécessité ou d’épidémie.
Un document devait être présenté le 18 juillet au Conseil général de l’ OMC afin d’offrir aux 146 pays membres une vue sur tous les points de l’agenda et leur permettre d’approfondir les négociations qui seront finalisées le 24 août à Genève et dont les conclusions s’intègreront à une déclaration finale.
Sur ce dossier, il n’y a pas d’exception africaine. L’Afrique est partie prenante d’un accord et doit ouvrer dans ce sens. Toutefois, ceci ne peut que s’inscrire dans une stratégie à court et moyen terme. L’Afrique se doit de se doter des ses propres capacités de recherches et développement. Cela passe par un système éducatif planifié sur le long terme et financé adéquatement.
IV. Les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM)
L’Afrique est particulièrement vulnérable à l’introduction des OGM dans le continent sous couvert d’aide alimentaire. Introduire les OGM en Afrique équivaudrait à prendre en otage l’agriculture africaine et ses paysans. En effet, les semences des OGM ne se renouvellent pas et les fermiers doivent se payer de nouvelles semences chaque année au lieu de les prélever de leurs propres récoltes comme c’est le cas pour les cultures traditionnelles. Autant dire que ces derniers seront très vite pris dans un filet d’endettement quand on sait que les pratiques des pays industrialisées comme la politique agricole commune européenne (PAC) et les autres formes de subventions et de dumping adoptées par les pays riches ont déjà institutionnalisé la famine en Afrique. Adopter les OGM finirait le processus de prise en otage du continent pour ne rien dire des risques d’ordre sanitaire que la consommation des OGM pourrait induire.
Au regard de ces risques, l’Union Européenne a décidé de procéder à l’étiquetage et au traçage des OGM. Les Etats-Unis ont porté plainte contre les européens devant l’ OMC en les accusant de recourir au protectionnisme et d’affamer l’Afrique. De la part des Etats-Unis, utiliser l’Afrique comme bouc émissaire dans ses démêlés avec l’Europe a quelque chose d’obscène quand on sait que :
La participation des européens à l’aide publique au développement est sept fois supérieure à celle des américains
Qu’en tant que premier bailleur de fonds des institutions de Bretton Woods (le FMI et la Banque Mondiale) les Américains sont à l’origine des politiques et des stratégies de développement qui ont fait de l’Afrique un continent en faillite ;
Que les Etats Unis cautionne l’endettement qui l’étouffe l’Afrique tout en se faisant les chantres de l’annulation de la dette de l’Iraq qu’ils occupent.
Face à la menace que représentent les OGM pour la survie des populations et de l’agriculture africaines, l’Afrique doit donc non seulement être partie prenante de toute interdiction visant l’usage des OGM mais doit également obtenir des Nations Unies une résolution interdisant à ses pays membres et au PAM d’ inclure des céréales transgéniques dans leurs interventions pour faire face aux famines qui ravagent certains pays du continent comme les Etats-Unis sont enclins à le faire.
Toutefois, au regard de la décision du Burkina Faso d’autoriser deux multinationales américaines, dont Mosanto, d’expérimenter la culture transgénique du coton en dépit de son mal à vendre sa propre culture de coton et de la plainte que ce pays a déposée auprès de l’ OMC contre les subventions qui pénalisent sa propre culture domestique, on serait enclin au pessimisme sur la capacité des africains à faire front commun sur ce dossier.
V. L’aide publique au développement
Le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) dont la réunion se termine le 25 Juillet 2003 a exhorté les pays développés qui ne l’ont pas encore fait à consacrer 0,7% de leur produit national brut à l’aide publique au développement et de 0,15 à 0,20% en faveur des pays les moins avancés.
De toutes les formes de financement, l’aide publique au développement est la moins adaptée. Son mode d’octroi et de fonctionnement a rempli les carnets de commandes des firmes occidentales, bénéficié aux élites des pays récipiendaires tout en enfermant les pays africains dans un cycle d’endettement et de dépendance sans fin. On en veut pour preuve les statistiques suivantes : les pays d’Afrique au sud du Sahara ont payé de 1980 à 1996 deux fois en intérêts le montant des dettes qu’ils doivent à la Banque mondiale et au FMI. Cela ne les empêche de devoir en 1996 trois fois plus que ce qu’ils devaient en 1980. Donc, s’il convient d’augmenter les montants de l’aide publique au développement, il n’en est pas moins sine qua non d’en redéfinir les formes d’utilisation pour :
Approvisionner les dettes externes des pays africains en vue de leur annulation. En effet, s’il est de bon aloi de parler de l’annulation de la dette, il n’en est pas moins évident que les bien pensants qui s’en font les avocats méconnaissent les règles comptables qui doivent présider à cette annulation. Les institutions auxquelles ces dettes sont dues, doivent leur existence à leur notation financière, la plus élevée : le triple A (AAA) qui leur permet d’emprunter à des taux préférentiels des sommes qu’elles prêtent aux pays africains à des taux supérieurs assortis de conditions. Annuler ces dettes enverrait un signal négatif aux agences de notation qui interpréteraient une telle décision comme résultant d’un mauvais portefeuille et s’empresseraient de les rétrograder, les privant ainsi de leur raison d’être. Il est donc vital que les pays industrialisés qui contrôlent ces institutions leur fournissent les fonds nécessaires à l’approvisionnement de ces dettes en vue de leur annulation quand bien même ces dites institutions ont accumulé des profits et des réserves colossaux en se faisant les intermédiaires entre les pays pauvres et les marchés des capitaux ;
Agir de même pour les dettes internes dont on ne parle jamais mais qui contribuent grandement à l’absence de compétitivité des opérateurs africains que les taux d’intérêt prohibitifs des banques commerciales opérant en Afrique étouffent ;
Financer les fonds d’aide à l’intégration régionale et au commerce inter régional par le biais de l’Union Africaine et des organisations régionales d’intégration économique.
VI. L’accord général sur les services (AGCS) & La propriété intellectuelle
L’ OMC souhaite élargir le champ des négociations sur l’accord général sur les services (AGCS) lors de la conférence de Cancun. L’ OMC prévoit « la privatisation de l’eau », voire sa « pétrolisation », en en faisant un bien rare et cher. L’ OMC prévoit peu à peu la privatisation de tous les secteurs de l’eau, de la nappe phréatique à la mise en bouteille. La même démarche s’applique à d’autres services publics tels que le transport, la culture, l’éducation, la santé, etc. Résultat, une commune par exemple ne pourra plus mettre elle-même en place et financer un service public de distribution de l’eau. Les Etats seront dépourvus de toute compétence en matière de politique sanitaire, culturelle, d’éducation, de santé, de transport, etc. et il ne sera plus possible de revenir en arrière sur un tel accord.
Les nouveaux sujets de négociations que l’on souhaite introduire à Cancun ont déjà été rejetés par les pays en développement lors de la réunion de Seattle. Cette position doit être maintenue coûte que coûte.
VII. Les transferts de technologie et les « joints ventures »
Il serait grand temps de tordre le coup au mythe qui s’attache aux transferts de technologie. Ce sont les multinationales qui sont à l’origine de ces transferts de technologie quand elles s’installent dans un espace économique donné. Et ce que l’histoire retient c’est que les multinationales ont pour objectifs d’exploiter et d’engranger le maximum de bénéfices au dépens de l’environnement et du capital social et humain des pays où elles s’installent. Nulle part au monde elles n’ont été créditées de développement sauf en Asie où elles sont « domestiques », c’est-à-dire chinoises, coréennes, malaisiennes, etc.
Dans les premières phases de son industrialisation, l’Afrique devra recourir à des technologies de bas de gamme relatives à des licences d’exploitation et des brevets dont les délais d’exploitation sont expirés. L’ambition, dans ces périodes de balbutiements, est de produire principalement pour les consommateurs locaux en vue de réduire les importations de biens manufacturés et de mettre à niveau les économies africaines avant l’ouverture au marché mondial. Ces stratégies de développement prennent des décennies à mettre en place et si l’Afrique pense qu’elle peut trouver des raccourcis du type du NEPAD pour y arriver, elle invite tout bonnement à sa recolonisation.
Pour ce qui est des « joint ventures », il convient d’être deux pour danser le tango. Ces mariages se font quand les candidats à une union jouissent d’un rapport de force équivalent porteur de plus values en cas de fusion. Les PME africaines n’ont pas ce poids face aux entreprises du nord.
En revanche, ces alliances peuvent parfaitement se concevoir quand il s’agit d’unions entre des entreprises de différentes parties du continent. Une politique d’incitation à des fusions de sociétés opérant dans les mêmes secteurs dans différents pays africains est à encourager. Mais espérer ces types fusions entre des entreprises des pays riches et celles des pays africains est équivalente à perpétuer cette langue de bois en usage dans les cercles qui s’occupent de développement dès qu’on en vient à parler du développement du continent africain.
CONCLUSION
Les Nations se créent pour se livrer une compétition sans merci. C’est une loi d’airain qui fabrique des gagnants et des perdants. Dans un tel contexte et compte tenu de la faiblesse des pays africains, il serait hautement souhaitable que le continent parle d’une seule voie. La réunion de Cancun aurait du être précédée d’une réunion des ministres du commerce, des syndicats et des ONGs sous l’égide de l’Union Africaine en vue de l’harmonisation des points de vue des pays membres de l’UA.
Pour le groupe africain, cette nécessité doit aller de pair avec celle de ne pas se laisser enliser dans le piège de discussions procédurières à connotation technico-ésotérique. Il se doit de faire prévaloir dans les négociations les questions cruciales qui engagent l’avenir du continent tout entier surtout quand on sait qu’aucun des engagements pris par les pays développés à Doha, à savoir la révision de leurs politiques de subventions agricoles dont les effets néfastes affectent 97% des fermiers qui vivent dans les pays en voie de développement ; la solution relative aux coûts onéreux des médicaments et toute une liste d’autres questions relatives aux règles et au mode de fonctionnement de l’ OMC n’a été respecté. L’Europe, sur l’intransigeance de la France, a maintenu la PAC, les Etats Unis veulent modifier l’ordre du jour des négociations pour y inclure la privatisation des services notamment celui de l’eau avec l’accord tacite du Commissaire européen au commerce Lamy et les multinationales pharmaceutiques n’ont agrée qu’à l’ouverture de l’éventail des maladies à considérer pour ne plus les limiter qu’ au sida, à la malaria et à la tuberculose.
Pourtant, une étude récemment publiée sur l’histoire des pays maintenant développés de l’Amérique du nord, de l’Union Européenne et des pays de l’Asie de l’est montre que leurs stratégies de développement furent toutes fondées sur la régulation des investissements étrangers en vue d’assurer qu’ils contribuent réellement à leur développement sur le long terme et non leur appauvrissement. Ces pays requirent et même obligèrent les firmes qui s’installaient à conclure des « joint ventures » avec des entreprises locales. C’est seulement quand une industrie locale avait atteint un certain niveau de sophistication et de compétitivité qu’un gouvernement s’orientait vers une plus grande ouverture de son économie et à la levée partielle de ses règles restrictives.
C’est une telle stratégie qu’a adopté le Vietnam. Cela n’a pas empêché un pays comme la France d’y avoir un niveau d’investissements évalué présentement à 4 milliards de dollars. Et nul doute que ce pays émergera dans un avenir prochain comme l’un des géants de l’économie mondiale. Les gouvernements africains feraient mieux de faire les leurs les conclusions de cette étude citée par Duncan Green de CAFOD.
Sanou MBAYE pour Aid Transparency: http://www.aidtransparency.org
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