Pour une confédération panafricaine de gestion des matières premières
L’Afrique dispose de 8% des réserves mondiales pétrolières connues. En 2002, sa production s’élevait en barils/jour à : 2 100 000 au Nigeria, 900 000 en Angola, 283 000 au Congo Brazzaville, 265 000 en Guinée équatoriale, 247 000 au Gabon, 227 000 au Soudan, 75 000 au Cameroun, 28 000 en Afrique du Sud, 25 000 en République démocratique du Congo et 11 000 en Côte d’Ivoire.
Les Etats-Unis, quant à eux, consomment 20 millions de barils/jour de pétrole dont la moitié est importée. En dépit des projections qui indiquent qu’à ce rythme de consommation, leurs réserves s’épuiseront dans quarante ans environ, la demande ne cesse de croître. Pour les caciques du parti républicain au pouvoir, un accès libre aux réserves de pétrole du monde avec la possibilité d’en contrôler les niveaux de production et de prix est devenu une question vitale.
Les actions terroristes du 11 septembre 2001 dont les auteurs étaient dans leur quasi-totalité des citoyens de l’Arabie saoudite, plus gros fournisseur des Etats-Unis, ont servi de prétexte aux Américains pour se prémunir contre les menaces qui pourraient peser sur leurs sources d’approvisionnement en s’appropriant le pétrole irakien et en faisant main basse sur le pétrole africain dont ils contrôlent l’exploitation par l’installation in situ de bases militaires.
Est également tout aussi significative leur hâte à rouvrir, sans état d’âme, leur ambassade en Guinée équatoriale, faisant ainsi leur litière des exactions perpétrées contre les populations de ce pays dont les dirigeants affichent un mépris total des droits de l’homme. Le torpillage par le gouvernement Bush, sous la pression des compagnies pétrolières américaines, de l’initiative tendant à rendre publics et obligatoires les payements effectués par les multinationales pétrolières aux gouvernements complète la panoplie des moyens mis en place pour sauvegarder les intérêts américains. Il est à craindre qu’avec leur recherche obstinée de sources d’énergie nouvelles, les Américains ravivent les rivalités des grandes puissances pour le partage du « gâteau africain » comme disait Léopold II, roi des Belges, sèment les germes de nouveaux cycles de conflits, de corruption et de dégradation de l’environnement. Les exemples justifiant de telles craintes sont légion.
L’on constate depuis quelque temps un renchérissement de l’intérêt porté au pétrole africain par certains pays, témoins les visites effectuées sur le continent par l’Américain George W. Bush, le Chinois Hu Jintao, le Brésilien Lula Da Silva, les Allemands Horst Koehler et Gerhard Schröder ainsi que de nombreux autres dirigeants mondiaux.
La concurrence effrénée à laquelle se livrent ces pays, tout en constituant un puissant stimulant pour l’économie africaine, ne se fait malheureusement pas sans dommages. On a pu le constater naguère lorsqu’il s’est agi d’adopter des sanctions économiques et une proposition d’intervention militaire contre le Soudan en raison des exactions, qualifiées de génocide par le Congrès américain, commises au Darfour contre les Noirs, par les milices Janjaweed à la solde de Khartoum. L’on se souvient qu’à cette occasion, la Chine, uniquement préoccupée par ses intérêts pétroliers, avait brandi la menace de son droit de veto au conseil de sécurité des Nations unies.
Au Nigeria, le revenu par tête d’habitant est inférieur à un dollar par jour en dépit des ressources financières provenant de la vente de son pétrole qui se sont montées à plus de trois cents milliards de dollars ces vingt-cinq dernières années. Cette rente financière, au lieu de contribuer au développement de ce pays, a fini dans des banques helvétiques pour le compte des gouvernants et des membres de l’élite, ou a servi à financer des projets grandioses occasionnant des dépenses extravagantes. Et que dire des exactions contre l’environnement commises en totale impunité en pays Ogoni par Shell ?
En Angola, un audit a révélé que 4,5 milliards de dollars de revenus pétroliers n’avaient pas été comptabilisés dans les recettes de l’Etat. British Petroleum (BP) a manqué de se faire expulser de ce pays pour s’être risquée à dévoiler qu’elle avait versé 111 millions de dollars à des membres du gouvernement angolais en guise de « prime de signature ».
Les détournements qui atterrissent sur des comptes bancaires à l’étranger ne sont malheureusement pas les seuls problèmes. Celui qui retient le plus notre attention est le célèbre oléoduc qui relie le Tchad au Cameroun. Il a entraîné une pollution de l’eau, dévasté les terrains de chasse des Pygmées, détruit les récoltes et répandu le sida, en raison de l’afflux massif de travailleurs escortés par des colonies de prostituées. Les revenus annuels prévus de ce projet pour les compagnies pétrolières (Chevron, Exxon et Petronas), et pour les prêteurs (Banque mondiale et Banque européenne d’investissement), étaient estimés, bien avant la flambée des cours du pétrole, à 4,7 milliards de dollars. Le Tchad et le Cameroun n’ont droit, en revanche, qu’à une rémunération modique de 62 millions de dollars pour le premier et de 18,6 millions de dollars pour le second.
Sur cette opération, la Banque mondiale n’a accordé qu’une subvention de 15 millions de dollars pour faire face aux coûts sociaux subséquents, à savoir : la pollution des sources d’approvisionnement en eau potable, les pertes de terres de chasse pour les pygmées, de récolte et de terres cultivables pour les paysans et l’afflux massif de travailleurs immigrés, avec son cortège de maux, prostitution et sida.
Les Etats-Unis importent d’Afrique de l’Ouest 1,5 million de barils/jour, soit autant que d’Arabie saoudite. Selon le département américain de l’Energie, au cours de cette décennie, les importations américaines de pétrole d’Afrique atteindront 770 millions de barils/an, et ce, pour deux raisons : l’exploitation ira s’intensifiant sur l’ensemble du Golfe de Guinée tandis que, parallèlement, les pays producteurs de pétrole en guerre, comme ce fut le cas de l’Angola et maintenant du Soudan, connaîtront un retour à la paix négociée par les Etats-Unis. En conséquence de quoi, les producteurs de pétrole de l’Afrique occidentale engrangeront quelque 200 milliards de dollars au cours de la décennie qui s’annonce, soit plus de dix fois les sommes allouées chaque année par les pays occidentaux à l’«aide » dans la région. Ces projections de recettes étaient basées sur un prix du baril de l’ordre de 20 dollars. Maintenant qu’il se situe à plus de 60 dollars – et probablement de manière durable en raison de la forte demande provenant du Japon, de la Chine et de l’Inde –, c’est à des projections de revenus de 600 milliards de dollars qu’il faut s’attendre.
Le pétrole représentant une ressource stratégique de toute première importance, la quasi-totalité des pays producteurs, à l’exception de ceux de l’Afrique de l’Ouest, ont joué parfaitement en leur faveur la carte de cette source d’énergie.
A l’instar du Venezuela, où le président Hugo Chavez a mis en place des politiques économiques novatrices et audacieuses au service des intérêts de son pays. Mieux, il a fait sienne la vision de Simón Bolívar pour la création d’une confédération panaméricaine. Faisant du pétrole l’instrument de sa révolution bolivarienne, Hugo Chavez contribue à alléger la dette de ses voisins argentins et équatoriens, à forger une alliance énergétique avec le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et dix pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, et à proposer un rapprochement stratégique aux pays andins. Cela a contribué à lui valoir le support de la majorité de ses concitoyens pour faire face aux menées subversives entreprises par une opposition et par une presse encouragées et soutenues par Washington, à seule fin de le déstabiliser et de l’éloigner du pouvoir.
Pour faire bon usage de leur pétrole, les pays africains doivent, en s’inspirant de l’exemple vénézuélien, rompre avec la division internationale de travail qui ne leur assigne que le rôle de producteurs de matières premières depuis des temps immémoriaux. Leur accession à l’ « indépendance » n’y a rien changé. Il faut rappeler, à cet égard, qu’aucun pays d’Afrique noire, à l’exception notable de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, naguère administrés par des gouvernements à minorité blanche, n’était autorisé à lever des fonds sur les marchés des capitaux internationaux au début de leurs indépendances dans les années 1960. Les marchés des capitaux nationaux n’existaient pas davantage. Ces pays n’ont alors eu d’autre choix que de sous-traiter leur développement avec le FMI et la Banque mondiale.
D’où l’intérêt d’une confédération panafricaine pour la gestion des matières premières, dont le pétrole constituerait la principale composante, ce qui aurait pour résultat un moindre assujettissement au FMI et à la Banque mondiale, dont il n’est pas inutile de rappeler brièvement le caractère léonin des méthodes.
Ces institutions ont jusqu’ici identifié, évalué, approuvé et financé les projets et les programmes qui étaient censés développer les pays africains. Elles ont supervisé et entériné le recrutement des consultants qui ont mené les études y afférentes. Elles ont recruté le personnel expatrié impliqué dans les phases de mise en oeuvre. Elles ont défini les procédures d’appel d’offres et approuvé tous les contrats qui en ont résulté. Pendant la réalisation des projets, elles ont mené des missions périodiques de supervision et rédigé des rapports trimestriels sur leur progression.
Ces mesures de suivi ont été complétées par des rapports d’audits annuels confiés à des auditeurs externes, auxquels se sont ajoutés ceux rédigés par les auditeurs internes des institutions. Malgré toute cette batterie de procédures au demeurant fort coûteuses, la grande majorité des projets financés en Afrique noire n’a pas atteint, selon les estimations mêmes de la Banque mondiale, les objectifs initialement fixés. En clair, l’absence de matérialisation des revenus et des profits projetés se traduit par l’incapacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes. Ils sont, de ce fait, contraints à recourir à d’autres emprunts, alourdissant ainsi leurs charges budgétaires, et accentuant par la même occasion leur appauvrissement.
Par exemple, le taux de croissance par tête d’habitant s’élevait entre 1965 et 1998 à : -0,8 en Côte d’Ivoire et au Ghana ; -0,1 en Guinée-Bissau ; -2 en Zambie ; 0 au Nigeria ; -0,4 au Sénégal ; -2,5 au Niger ; -3,8 en RDC.
Pourquoi cet échec ? Les prêteurs multilatéraux ont préconisé une stratégie de développement basée sur la théorie des avantages comparés et d’une libéralisation économique effrénée. L’Afrique a dû ouvrir ses marchés tout en se cantonnant à la production de matières premières. La théorie laissait entendre qu’avec ses recettes d’exportation, elle serait en mesure de se développer en investissant dans les secteurs clefs de l’éducation, de la santé, de l’habitat, de la production alimentaire et de l’industrie. Cette vision s’est révélée fausse. Les cours des matières premières n’ont, en effet, cessé de baisser durant ces quatre dernières décennies, tandis que ceux des produits manufacturés importés par la région ont crû en permanence.
Cet échec était d’autant plus prévisible que les politiques prônées par le FMI et la Banque mondiale pour le développement de l’Afrique contrastaient singulièrement avec celles adoptées par les pays développés. Ces pays ont en effet protégé et subventionné leurs productions nationales au cours des premières phases de leur développement. Ils continuent de recourir aux mêmes méthodes chaque fois que leurs intérêts nationaux sont en jeu.
Selon une étude publiée en 2003 (1), durant toute la phase préliminaire de leur développement, les Etats-Unis, les Etats membres de l’Union européenne et les pays d’Asie de l’Est ont tous réglementé les investissements étrangers et mis en place des systèmes de contrôle des mouvements des capitaux. Les partenariats avec les entreprises étrangères ont été élaborés pour favoriser les transferts de technologies et la formation afin d’ajouter de la valeur à la production locale et créer pour les producteurs locaux les conditions requises pour faire face à la concurrence. Ce n’est pas un hasard si des pays comme la Chine, l’Inde et la Malaisie ont mieux absorbé les chocs de la mondialisation. Ils ont refusé de se laisser imposer les recettes néolibérales des institutions de Bretton Woods.
Il ressort de ce qui précède que la voie choisie par le FMI et la Banque mondiale et leurs commanditaires occidentaux, au premier rang desquels se trouve l’Amérique, pour traiter les problèmes de l’Afrique subsaharienne constitue, au mieux, une preuve d’incompétence et, au pire, ce qui est plus vraisemblable, une volonté inavouée de placer les pays d’Afrique noire et leurs peuples sous domination.
Quel que soit le cas de figure, il ne faut pas perdre de vue que l’octroi de crédits obéit à des règles internationales. Les institutions financières qui les outrepassent doivent assumer leurs responsabilités. Le FMI et la Banque mondiale doivent donc répondre de leurs agissements en Afrique subsaharienne. Ainsi, le refus d’honorer les dettes injustifiées qu’ils ont fait contracter à l’Afrique serait conforme à la logique économique et à la loi internationale. Au demeurant, les accords de prêt prévoient une clause d’arbitrage en cas de litige. Celle-ci doit être invoquée.
Pour sortir du piège, les Africains ont besoin de s’approprier et de formuler leurs propres stratégies de développement en usant de l’argent du pétrole pour s’affranchir du carcan qui les étouffe. Une appropriation locale des stratégies de développement pourrait être initiée et gérée par une structure panafricaine dont la création passe par :
• Une volonté politique réelle pour une intégration politique et économique des Etats et l’effacement des frontières artificielles.
• Une réforme des mentalités et des attitudes. Il convient d’éduquer pour susciter l’émergence d’un esprit communautaire fondé sur la compréhension des coûts et des bénéfices d’une coopération et d’une intégration nécessitant un abandon partiel ou total des souverainetés nationales au profit des autorités régionales chaque fois que des solutions régionales sont requises pour résoudre des problèmes spécifiques. C’est le cas quand il s’agit de la nécessité de donner une priorité absolue à la création d’une zone de libre échange pour faire du commerce intrarégional le premier levier de croissance économique pour le développement de la région ;
• Un fonctionnement sans heurts des mécanismes de paiement et de compensation.
• Une mise en place d’institutions adéquates tant au niveau national qu’au niveau régional.
• Une consolidation des processus démocratiques.
• Une mise en place de fonds structuraux régionaux pour des politiques adéquates de mise à niveau des économies africaines.
• Une réforme de la notion d’ « aide » et sa réallocation pour budgétiser les fonds structuraux des politiques de mise à niveau des économies africaines en vue de leur intégration.
• Des politiques coordonnées d’intégration économique.
• Un recours à l’accord de sauvegarde de l’OMC. La mesure de sauvegarde est une mesure temporaire, destinée à aider les producteurs nationaux à s’adapter à la concurrence venant des importations. Il importe de mentionner que les pays industrialisés n’ont jamais cessé d’avoir recours à cet accord pour se protéger de la concurrence extérieure tout en transformant l’Afrique et les autres pays pauvres en aires de décharge pour leurs surplus lourdement subventionnés.
• Une mise en place de mesures de contrôle pour juguler la fuite des capitaux et celle des cerveaux.
• Des politiques de subventions pour les secteurs de l’éducation, de la santé, de la production vivrière, de l’industrie
• Un appui au commerce régional et à l’exportation
• Une réduction des surfaces consacrées aux cultures de rente
• Un avis juridique d’un panel de juristes internationaux sur le bien-fondé des dettes contractées auprès du FMI et de la Banque mondiale, et l’inscription de la question à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies dans le but d’obtenir le gel des remboursements pendant le déroulement des procédures d’arbitrage ;
• Un recours par voie législative pour faire recapitaliser les sociétés publiques bradées au secteur privé au profit des investisseurs nationaux pour favoriser le retour des capitaux exilés
Se créer une identité panafricaine par l’adoption de ces mesures est la seule thérapeutique laissée aux Noirs pour se guérir de leur statut de « damnés de la terre » qu’illustrent si bien les images de détresse et de mort que véhiculent les médias, qu’il s’agisse des suppliciés d’Afrique ou des laissés-pour-compte de la Nouvelle-Orléans après le passage du cyclone Katrina pour ne citer que ces exemples.
(1) Le Programme des Pays du Nord sur l’Investissement à l’OMC : Faites ce que nous disons, pas ce que nous avons fait, Ha-Joon Chang (Université de Cambridge) et Duncan Green (CAFOD) South Centre/CAFOD, juin 2003.