La pauvreté dans le monde, et plus particulièrement en Afrique subsaharienne, a atteint des proportions astronomiques avec un enfant qui meurt toutes les trois secondes, 900 millions d’individus qui vivent dans des bidonvilles, tandis que 800 millions de personnes sont sous-alimentées, et qu’un milliard d’autres sont illettrées. Pour s’attaquer à ce drame, les Nations Unies ont mis sur pied un programme : « les Objectifs de Développement du Millénaire » (ODM). L’un de ces objectifs vise à réduire de moitié le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour, d’ici 2015 grâce à la réduction de la dette des pays les plus pauvres, au doublement de l « aide », à une plus grande ouverture des marchés occidentaux aux exportations des pays dits en développement (PED).
Toutefois, il est risqué de croire que les pays du G8 iront jusqu’à doubler le volume de leur « aide », éliminer leurs subventions et mesures protectionnistes et effacer l’ardoise de la dette d’ici à 2015 et même au-delà. En effet, en dépit d’une mobilisation populaire importante pour le combat contre la pauvreté et des efforts soutenus du premier ministre britannique, Tony Blair, pour le compte de l’Afrique, les résultats de la réunion du G8 qu’il a présidée début juillet 2005 à Gleneagles, en Ecosse, n’ont pas répondu aux espoirs escomptés. Les promesses avancées ont consisté en :
- une annulation de la dette de 18 pays africains pauvres
- une augmentation de 50 milliards de dollars de l’ « aide » par an d’ici 2010, dont « au moins » 25 milliards supplémentaires par an iront à l’Afrique
- une promesse de parvenir dans « toute la mesure du possible » à un accès universel aux médicaments contre le sida d’ici 2010 pour tous ceux qui en ont besoin
En matière de commerce en revanche, les membres du G8 n’ont fait aucun progrès sur la question des réductions des subventions agricoles à l’exportation lors de la conférence de l’OMC de décembre dernier à Hong-Kong avec l’insistance de la France de maintenir le Programme Agricole Commun (PAC). Cela a été une aubaine pour certains pays Européens en plus des Etats-Unis, du Japon et du Canada qui se disaient prêts à avaliser le principe de leur suppression sous la pression des éléments les plus dynamiques de la société civile africaine et internationale opposés à l’impérialisme du commerce international dans l’ère de la mondialisation où le diktat des pays riches vis-à-vis des pays pauvres, particulièrement ceux d’Afrique sub-saharienne, peut se résumer ainsi : « Faites ce que nous disons, pas ce que nous avons fait ». De plus, s’il ne fait aucun doute qu’une injection additionnelle d’argent et la mise en place des mesures annoncées dans les objectifs des Nations Unies seraient les bienvenues, penser qu’elles représentent la panacée pour résoudre les problèmes liés à la pauvreté, particulièrement en Afrique, c’est sous-estimer les véritables causes du drame. Ces causes et les solutions qu’il serait souhaitable de leur appliquer doivent, en tout premier lieu, tenir compte des réalités historiques et culturelles, ainsi que des priorités des pays pauvres.
L’Afrique sub-saharienne, par exemple, aura été le champ d’expérimentation des politiques initiées sous les auspices des institutions de Bretton Wood (FMI et Banque mondiale) depuis plus de quatre décennies. L’ « aide » fournie par ces organisations s’est articulée, tour à tour, autour de stratégies de développement qui ont eu noms : théorie des avantages comparés, développement intégré, Programmes d’ajustement structurel (PAS) et appropriation locale des stratégies de développement. Les conditions abominables dans lesquelles vivent les populations de la région sont la résultante de l’échec des remèdes administrés.
En dépit des stratégies de développement erronées de ces institutions, de la pauvreté qu’elles ont engendrée et de la défaillance du leadership africain, l’« aide » n’en représente pas moins une industrie florissante pour les pays occidentaux et leurs alliés africains. Ce succès se traduit par une fuite massive des capitaux avec comme corollaire, les dettes qu’elle génère, et par celle des cerveaux. La fuite des capitaux trouve ses origines dans différents facteurs tels que :
- le paiement des intérêts et de l’amortissement des dettes contractées par les pays de la région ;
- l’adjudication à des firmes étrangères de la quasi-totalité des contrats financés par ces dettes ;
- les exemptions de droits de douane, de taxes et d’impôts dont jouissent les biens et services financés par les Institutions Financières Internationales (IFIs) ;
- la détérioration des termes de l’échange (le différentiel entre les prix des biens manufacturés importés par les pays de la région et ceux des matières premières exportées par ces mêmes pays) ;
- les opérations spéculatives ;
- le libre transfert des profits réalisés sur place ;
- les réserves de changes détenues sur des comptes à l’étranger ;
- la propension des élites à exiler leurs capitaux ;
- le détournement des recettes d’exportation, particulièrement celles du pétrole, et les prébendes.
Le pool des capitaux exilés comprend les capitaux acquis légalement à domicile et transférés légalement à l’étranger, les capitaux acquis légalement à domicile et transférés à l’étranger par des moyens illicites, et les capitaux privés acquis de manière illicite à domicile et transférés illégalement à l’étranger.
D’après les statistiques disponibles, l’Afrique sub-saharienne est la région du monde la plus affectée par la fuite des capitaux. Actuellement, ils représentent plus que l’encours de la dette. Selon l’Agence des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), chaque dollar qui entre dans la région génère en contrepartie une fuite des capitaux équivalente à 1,06 dollar dont 80 cents sont engendrés à partir des dettes contractées par les pays de la région. Rien d’étonnant donc à ce que les pays les plus pauvres du monde soient devenus des créditeurs nets par rapport au reste du monde, dès l’instant que le montant des capitaux détenus à l’étranger par les différents acteurs opérant dans la région, dépasse le montant total des dettes accumulées par les pays concernés.
Cette situation peu orthodoxe suscite des questions d’ordre moral et éthique. Elle implique, à tout le moins, une connivence entre les créditeurs (en l’occurrence les pays de l’OCDE, par le biais des institutions financières multilatérales et des banques commerciales qu’ils contrôlent), et les débiteurs, constitués par les dirigeants et les élites des pays d’Afrique au sud du Sahara. De surcroît, les capitaux en fuite financent non seulement une part importante des déficits budgétaires des pays de l’OCDE, mais ils constituent également l’enveloppe financière qui sert à l’octroi de nouveaux prêts aux pays débiteurs dans un schéma financier connu sous les termes anglo-saxons de « round-tipping ou back-to-back loans ». Les débiteurs utilisent ces crédits additionnels pour accroître leurs avoirs à l’étranger dans un recyclage perpétuel. Pis que cela, les politiques, les programmes et les conditionnalités des prêts du FMI et de la Banque mondiale imposent aux pays débiteurs un mouvement des capitaux sans entraves et une discipline budgétaire rigoureuse qui génèrent des taux d’intérêt élevés et des taux d’inflation très bas. La combinaison de ces différents facteurs intensifie les opérations spéculatives à court terme, particulièrement dans les anciennes colonies françaises groupées au sein de la zone franc qui font usage d’une monnaie commune convertible, le franc CFA. Les spéculateurs transfèrent des sommes d’argent énormes de l’étranger sur des comptes de dépôts locaux hautement rémunérateurs, collectent leurs gains exonérés d’impôt tous les trois mois pour, de nouveau, recommencer les mêmes opérations spéculatives selon un processus récurrent.
Les banques commerciales sont inondées de ces fonds spéculatifs à court terme qui sont extrêmement volatiles. Les conditionnalités des prêts du FMI et de la Banque mondiale restreignent la marge de manœuvre des Etats et des banques centrales de la région. Ils ne peuvent, en effet, articuler des politiques fiscales et monétaires autonomes pour allouer des crédits à bon marché, stimuler l’investissement, la demande, la création d’emplois, le renouveau politique, économique et social, seuls remèdes véritables dans la lutte contre la pauvreté. Dans de telles circonstances, les gouvernements n’ont d’autre choix que de faire appel aux banques commerciales qui leur octroient des crédits à court terme assujettis de conditions onéreuses pour financer leurs importations de biens de consommation, notamment les denrées alimentaires et les produits pétroliers, sources de magouilles et d’enrichissement illicite. Les banques, les spéculateurs, les gouvernants et l’élite impliqués dans ces opérations récoltent des gains énormes transférables sans restriction à l’étranger. Le revers de la médaille de telles pratiques se traduit par un endettement commercial dommageable aux économies nationales, doublé de l’absence de financement à long et moyen terme pour les secteurs productifs.
Mais, la source la plus importante de l’endettement des pays d’Afrique sub-saharienne provient des prêts du FMI et de la Banque mondiale qui en représentent les trois quarts. Il est utile de rappeler, à cet égard, qu’aucun pays d’Afrique noire, à l’exception notable de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, naguère administrés par des gouvernements à minorité blanche, n’était autorisé à lever des fonds sur les marchés des capitaux internationaux au début de leurs indépendances dans les années 1960. Les marchés des capitaux nationaux n’existaient pas davantage. Ces pays n’ont alors eu d’autre choix que de sous-traiter leur développement avec le FMI et la Banque Mondiale.
Ces institutions ont identifié, évalué, approuvé et financé les projets et les programmes qui étaient censés les développer. Elles ont supervisé et entériné le recrutement des consultants qui ont mené les études y afférentes. Elles ont recruté le personnel expatrié impliqué dans les phases de mise en œuvre. Elles ont défini les procédures d’appel d’offres et approuvé tous les contrats qui en ont résulté. Pendant la réalisation des projets, elles ont mené des missions périodiques de supervision et rédigé des rapports trimestriels sur leur progression. Ces mesures de suivi ont été complétées par des rapports d’audits annuels confiés à des auditeurs externes, auxquels se sont ajoutés ceux rédigés par les auditeurs internes des institutions. Malgré toute cette batterie de procédures au demeurant fort coûteuses, la grande majorité des projets financés en Afrique noire n’a pas atteint, selon les estimations mêmes de la Banque Mondiale, les objectifs initialement fixés. En clair, l’absence de matérialisation des revenus et des profits projetés se traduit par l’incapacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes. Ils sont, de ce fait, contraints à recourir à d’autres emprunts, alourdissant ainsi leurs charges budgétaires, et accentuant par la même occasion leur appauvrissement. Par exemple, le taux de croissance par tête d’habitant s’élevait entre 1965 et 1998 à : -0,8 en Côte d’Ivoire et au Ghana ; -0,1 en Guinée-Bissau ; -2 en Zambie ; 0 au Nigeria ; -0,4 au Sénégal ; -2,5 au Niger ; -3,8 en République démocratique du Congo.
Pourquoi cet échec ? Les prêteurs multilatéraux ont préconisé une stratégie de développement basée sur la théorie des avantages comparés et d’une libéralisation économique effrénée. L’Afrique a dû ouvrir ses marchés tout en se cantonnant à ne produire que des matières premières. La théorie laissait entendre qu’avec ses recettes d’exportation, elle serait en mesure de se développer en investissant dans les secteurs clefs de l’éducation, de la santé, de l’habitat, de la production alimentaire et de l’industrie. Cette vision s’est révélée fausse. Les cours des matières premières n’ont, en effet, cessé de baisser durant ces quatre dernières décennies, tandis que ceux des produits manufacturés importés par la région ont crû en permanence.
Cet échec était d’autant plus prévisible que les politiques prônées par le FMI et la Banque mondiale pour le développement de l’Afrique contrastaient singulièrement avec celles adoptées par les pays développés. Ces pays ont en effet protégé et subventionné leurs productions nationales au cours des premières phases de leur développement. Ils continuent de recourir aux mêmes méthodes chaque fois que leurs intérêts nationaux sont en jeu.
Durant toute la phase préliminaire de leur développement, les Etats-Unis, les Etats membres de l’Union Européenne et les pays d’Asie de l’Est ont tous réglementé les investissements étrangers et mis en place des systèmes de contrôle des mouvements des capitaux. Les partenariats avec les entreprises étrangères ont été élaborés pour favoriser les transferts de technologies et la formation afin d’ajouter de la valeur à la production locale et créer pour les producteurs locaux les conditions requises pour faire face à la concurrence. Ce n’est pas un hasard si des pays comme la Chine, l’Inde et la Malaisie ont mieux absorbé les chocs de la mondialisation. Ils ont refusé de se laisser imposer les recettes néolibérales des institutions de Bretton Woods.
Il ressort de ce qui précède que la voie choisie par le FMI et la Banque Mondiale pour traiter les problèmes de l’Afrique sub-saharienne constitue, au mieux, une preuve d’incompétence et, au pire, ce qui est plus vraisemblable, une volonté inavouée de placer les pays d’Afrique noire et leurs peuples sous domination. Quelque soit le cas de figure, il ne faut pas perdre de vue que l’octroi de crédits obéit à des règles internationales. Les institutions financières qui les outrepassent doivent assumer leurs responsabilités. Le FMI et la Banque mondiale doivent donc répondre de leurs agissements en Afrique sub-saharienne. Ainsi, le refus d’honorer les dettes injustifiées qu’ils ont fait contracter à l’Afrique serait conforme à la logique économique et à la loi internationale. Au demeurant, les accords de prêt prévoient une clause d’arbitrage en cas de litige. Celle-ci doit être invoquée. Elle constitue toutefois, pour chaque pays pris séparément, une arme à double tranchant qui pourrait se retourner contre lui. En effet, d’une part, on imagine assez mal un dirigeant africain complice d’un endettement qui l’a scandaleusement enrichi invoquer ladite clause. D’autre part, les bailleurs de fonds pourraient, en réaction, bloquer tout accès au crédit à tout pays qui s’y risquerait.
Quant aux entreprises étrangères, elles ont fait main basse, à des prix bradés et par le biais des programmes de privatisation des institutions de Bretton Woods, sur les actifs publics les plus lucratifs des pays de la région (télécommunications, eau, électricité, banques, assurances, industries, etc.). Elles accumulent de ce fait, des bénéfices confortables qu’elles s’empressent de transférer à l’étranger.
Ces pratiques conduisent à l’accumulation d’un volume de dettes énormes, en accroissement continuel, dont le service et le remboursement échoit aux générations actuelles et futures les plus démunies du monde, lesquelles sont ainsi pillées par leurs gouvernants et dévalisées par leurs prêteurs. Cela pose, au plan légal, le problème de la qualification de ces dettes considérées comme publiques alors qu’elles relèvent, en réalité de personnes morales et physiques. A qui donc, des populations africaines ou des vrais détenteurs des capitaux leur remboursement doit-il échoir ?
A ces maux, il convient d’ajouter :
- l’absence de réinjection d’investissements sous forme de retour des capitaux exilés à l’instar de ce qui s’est fait en Amérique Latine, en Asie et au Moyen Orient. C’est grâce à ce retour de capitaux en fuite consécutivement à la publication du « Patriot Act » par les Etats-Unis après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 que plusieurs pays du Moyen-Orient connaissent une certaine embellie économique. Dubaï et l’Arabie Saoudite sont inondés de capitaux, suite à la réinjection de milliards de dollars dans la région au cours de ces dernières années par des investisseurs nationaux qui craignent de voir leurs avoirs détenus sur le sol américain confisqués. L’indice de la bourse saoudienne a augmenté de 78 % en 2004, une performance bien supérieure aux principaux indices américains et européens, ceci dans une région en proie aux conflits, aux tensions nucléaires, au terrorisme et aux défis politiques que l’on connaît ;
- les coûts de production exorbitants grèvent aussi lourdement les finances des pays d’Afrique au sud du Sahara. Ils absorbent en moyenne 15 % du montant total des exportations et peuvent même atteindre le quart des recettes d’exportation dans les pays enclavés;
- l’exode des élites intellectuelles et des travailleurs qualifiés. L’exode des cerveaux pourtant formés sur les budgets déjà étriqués des Etats, lesquels, de surcroît ne cessent de subir des coupes claires au fil des ans pour répondre aux PAS. C’est une autre forme d’extorsion qui contribue à accentuer le degré d’arriération de nos pays. En Occident, le manque de travailleurs qualifiés dû à une population vieillissante et la nécessité pour les pays industrialisés d’être, en permanence, à la recherche de percées technologiques et scientifiques, font que les pays d’Europe et d’Amérique du nord n’ont aucun état d’âme à dépouiller l’Afrique subsaharienne de ses élites. Témoins des pays comme le Sénégal, le Mozambique, le Ghana et la Tanzanie ont vu la moitié de leurs travailleurs déserter leurs pays au profit des pays occidentaux. L’industrialisation étant vitale au développement, comment espérer réaliser celui de l’Afrique quand sa matière grise fait défaut ? Cet accaparement de nos cadres contraste singulièrement, du reste, avec les mesures rigoureuses et discriminatoires dont sont sujets les autres candidats à l’immigration. Il faut espérer que les pays africains mettront en place des mesures de réciprocité pour protéger leur capital humain le plus précieux ;
- les mesures protectionnistes et la panoplie de subventions dont usent et abusent les pays occidentaux font défaut à l’Afrique en vertu des politiques de libéralisation que lui imposent les institutions financières internationales et qui transforment les pays de la région en aire de décharge pour les produits agricoles lourdement subventionnés et les produits manufacturés obsolètes des pays industrialisés et en souk pour les produits asiatiques, chinois en particulier.
Il y a de nombreux débats sur l’ouverture des marchés occidentaux aux produits africains. Ces préoccupations, bien que compréhensibles, ne sont cependant pas pertinentes dans une large mesure. Non seulement, il est illusoire d’espérer voir l’Occident abandonner, dans un proche avenir, ses pratiques commerciales discriminatoires, mais la capacité de l’Afrique à exporter autre chose que ses matières premières est extrêmement limitée, étant donné qu’elle ne dispose presque d’aucune base manufacturière compétitive à l’échelle mondiale, si l’on exclut des produits tels que le sucre ou le textile. Avant que l’Afrique ne rêve d’aller à la conquête de marchés extérieurs, elle serait bien inspirée de s’employer à reconquérir une partie de son patrimoine extorqué. Ainsi, au lieu de vouloir se lancer à tout prix à l’assaut de la forteresse imprenable des marchés occidentaux, les pays de la région feraient mieux de s’atteler à accroître le volume du commerce intra-régional, en mettant en place les politiques adéquates d’intégration économique régionale. Ces actions devraient aller de pair avec le recours à l’Accord sur les sauvegardes de l’ OMC, qui prévoit des mesures « d’urgence » lorsque des importations menacent de causer un dommage grave à la production nationale du membre importateur. La mesure de sauvegarde est une mesure temporaire, destinée à aider les producteurs nationaux à s’adapter à la concurrence venant des importations. Il importe de mentionner que les pays industrialisés n’ont jamais cessé d’avoir recours à cet accord pour se protéger de la concurrence extérieure tout en transformant l’Afrique et les autres pays pauvres en aires de décharge pour leurs surplus lourdement subventionnés. L’Afrique subsaharienne a intérêt à privilégier ces pratiques dans les premières phases de son développement afin de stimuler son économie et d’accéder à un niveau de productivité qui lui permettrait de jouer équitablement sur le marché mondial.
Nous pouvons dire qu’en définitive, nous sommes placés devant un dilemme : laisser les choses en l’état et exposer ainsi nos pays et nos populations à un appauvrissement perpétuel qui va s’aggravant au fil du temps, ou faire appel aux voies légales, à la mobilisation interne, et au ralliement de l’opinion internationale pour trancher ce nœud gordien qu’est la pauvreté. Aucun pays africain pris individuellement ne peut engager un tel pari. De là, résulte la priorité de s’atteler d’urgence au chantier de l’Union Africaine (UA), à la reconstitution du capital social des peuples Noirs et de leurs identités disloquées et à une analyse critique du rôle et de la part de responsabilité des élites africaines dans la désintégration de nos sociétés.
Le rapport de force étant trop défavorable aux micro-états africains face à l’Occident, seule une consolidation de l’UA peut donner aux pays africains un poids politique qui permette au Président de la commission de l’UA d’engager des actions d’envergure comme pourraient l’être :
- la demande pour un avis juridique sur la légitimité de la dette à un panel de juristes internationaux ;
- l’inscription de la question à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies dans le but d’obtenir le gel des remboursements pendant le déroulement des procédures d’arbitrage ;
- la négociation avec l’OMC d’un accord de sauvegarde pour protéger les économies africaines ;
- l’initiation d’un dialogue avec les pays occidentaux et les IFIs pour une reforme radicale de la notion d’ « aide ». La réorientation des programmes de prêts bilatéraux et multilatéraux destinés à la région qui doivent substituer la notion d’ « aide » à celle de mise en place de capacités productives, d’investissements et de support aux producteurs, à partir de propositions émanant de l’expertise locale et non des bureaucrates internationaux. Pour ce faire, la communauté internationale se doit de revoir ses politiques vis-à-vis de l’Afrique. Elle ne le fera que si elle y est forcée par une solidarité sans faille des africains.
- la sensibilisation et l’éducation des masses en vue de susciter l’émergence d’un esprit communautaire fondé sur la compréhension des coûts et bénéfices d’une coopération et d’une intégration nécessitant un abandon partiel ou total des souverainetés nationales au profit des autorités régionales chaque fois que des solutions régionales sont requises pour résoudre des problèmes spécifiques
- la mobilisation de la communauté internationale, et tout particulièrement celle des ONG, des artistes et des intellectuels qui se sont distingués pour leurs campagnes en faveur de l’Afrique;
Il est souhaitable de donner une priorité absolue à la création d’une zone de libre échange pour faire du commerce intra-régional le premier levier de croissance économique et de développement de la région. En l’espèce, l’UA se doit, non de s’inspirer de l’Union européenne dont elle a plagié les institutions, mais de Mercosur qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela. Les pays du Mercosur ont donné d’abord la priorité à la création d’une zone de libre échange sans se doter d’une lourde bureaucratie budgétivore. Depuis que ses membres ont commencé à réduire leurs droits de douane respectifs en 1991, le commerce au sein de Mercosur a cru en moyenne de 27% par an. Le volume des transactions entre le Brésil et l’Argentine ont quadruplé. C’est donc l’augmentation du commerce intra-régional qui agit comme catalyseur de développement et vecteur d’investissements dans les infrastructures et les autres secteurs clefs des économies d’une région.
Doter l’UA d’un budget adéquat est de la première importance, particulièrement pour le fonctionnement sans heurts des organes régionaux de coopération économique et monétaire, de paiements et de compensation. L’organisation doit aller jusqu’à envisager un prélèvement direct à la source d’une partie des recettes d’exportation des Etats membres de l’UA pour financer leurs contributions au budget de l’Organisation panafricaine dont les structures doivent s’appuyer sur de solides fondations, être indépendantes, disposer de ressources financières suffisantes rigoureusement gérées. Un degré de tolérance zéro doit être de mise pour les arriérés sur cotisations, quitte à envisager la suspension ou l’exclusion pure et simple des états membres défaillants. C’est à ces seules conditions, quelque drastiques qu’elles soient, que l’UA pourrait non seulement disposer de la crédibilité qui lui permettrait de lever des fonds supplémentaires en émettant des bons et obligations sur les marchés boursiers régionaux et internationaux, mais également remplir sa mission.
Sur le plan politique, l’UA doit veiller tout particulièrement au respect des droits de l’homme et aux principes démocratiques, en même temps qu’elle s’emploiera à décourager népotisme et tribalisme, générateurs de conflits ethniques tels qu’enregistrés ça et là. A cet égard, l’accent sera mis sur la création d’une force panafricaine d’interposition, avec l’aide de la communauté internationale. Elle aura vocation d’intervenir partout où la paix et le respect des droits de l’homme seront menacés.
Il est d’usage d’expliquer les déboires de l’Afrique par l’esclavage et la colonisation, ce que personne ne peut contredire. Il en est de même de la dislocation du tissu historique, culturel et économique qui s’est ensuivie. Mais cette reconnaissance n’absout pas pour autant le rôle joué par les dirigeants et les élites noirs dans l’asservissement de leurs peuples en tant qu’intermédiaires et collaborateurs du capitalisme international tout au long des périodes sombres de leur histoire, à savoir les années de plomb de l’esclavage et du colonialisme et les quatre décennies de cauchemar consécutives aux indépendances.
Pour la plupart des dirigeants africains le pouvoir est une sinécure. Les leaders dont l’Afrique a besoin doivent percevoir l’exercice du pouvoir comme un sacerdoce. Ils ont le souci de fructifier les ressources de leur pays au profit des générations présentes et futures.
Pour se construire, les pays d’Afrique ne peuvent se permettre de faire l’impasse sur une analyse critique de leurs échecs et sur le déficit de solidarité qui les affecte. C’est un préalable aux changements radicaux de mentalité et de comportement sans lesquels aucun progrès, dans quelque domaine que ce soit, n’est envisageable pour les populations noires d’Afrique et celles de la diaspora. Dans un contexte aussi délétère que celui de la mondialisation, ils doivent avoir à cœur de repenser le panafricanisme en tant qu’idéologie propre à cimenter l’unité de l’Afrique, et restaurer la dignité de l’homme noir chaque fois qu’elle est battue en brèche.