La France est aux prises avec une dette et un déficit qui ont entrainé la revue à la baisse de sa note financière. Elle fait face à une menace de récession et doit se soumettre à un programme drastique d’austérité pour résorber ses déficits.
Les rumeurs de plus en plus persistantes d’une éventuelle dévaluation du franc CFA découlent de cette situation. Par le biais des modalités de fonctionnement de la Banque centrale et des autres institutions de la zone franc, les économies des pays de cette zone sont de fait des excroissances de l’économie française.
Le franc CFA est arrimé à un euro flottant par un taux de change fixe qui le maintient dans un état permanent de surévaluation, préservant ainsi les capitaux français de tout risque de dépréciation. Mais cette surestimation érode également la compétitivité des pays de la zone franc et limite leur capacité à diversifier leurs économies et à créer de la valeur ajoutée pour se développer.
Contrairement aux monnaies des pays en voie d’industrialisation y compris le yuan chinois et le rupee indien, le franc CFA jouit d’une convertibilité garantie par la France contre le dépôt au Trésor français de 50% des réserves de change des pays qui le partagent. Cette mesure s’accompagne depuis 1993 d’un contrôle de change restreignant la libre transférabilité du franc CFA à la France. Ces dispositions entraînent une fuite massive des capitaux engrangés dans la zone franc vers l’Hexagone et créent des déficits publics structurels.
Présentement, si l’on s’en tient uniquement aux simples indicateurs extérieurs, une dévaluation du franc CFA par rapport à l’euro ne devrait pas être d’actualité. Les pays de la zone franc ont été assujettis à des programmes d’ajustement structurel depuis les années 1980s incluant une dévaluation massive du franc CFA en 1994.
Leur niveau d’endettement a baissé. Leurs réserves et leurs taux d’épargne ont augmenté. Les déficits sont sous l’étroite surveillance des institutions de Bretton Woods, le FMI et la Banque Mondiale, et les économies ne sont pas menacées de récession.
Mais une dévaluation du franc CFA a toujours résulté moins d’une analyse des fondamentaux macroéconomiques des pays de la zone franc que d’une décision unilatérale de la France. Celle-ci est passée maîtresse dans l’art d’utiliser la dévaluation comme outil pour accroitre sa compétitivité et son commerce extérieur. Elle y a eu recours quatorze fois depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Et chaque fois que le franc français dévaluait le franc CFA qui lui était arrimé l’était aussi.
Disposant d’une solide base industrielle, d’un bon carnet de commandes, d’un secteur public et privé dynamiques capables de répondre à la demande, l’économie française a bénéficié de ces dévaluations grâce à l’accroissement du volume des exportations dont une part importante est à destination de la zone franc. Des atouts que ne possèdent pas les pays de la Zone franc.
Sans industrie solide ni échanges intracommunautaires développés le parti qu’ils pourraient tirer des réductions des coûts de production consécutivement à une dévaluation est minimal. En revanche, une dévaluation entraine un gonflement de la masse monétaire, une hausse du prix des importations, une recrudescence du chômage, un regain des transferts spéculatifs et une déplétion de richesse.
Les pays de la zone franc se révèlent incapables de prendre le train de la croissance au moment même où nombre de pays d’Afrique traversent la période économique la plus prospère de leur histoire. Depuis 2000, ils ont réalisé une croissance économique moyenne de 5-7 % comparée à 2,5-3% pour les pays de la zone franc. Cette divergence devrait pousser ces pays à revoir leurs rapports avec la France. Deux scénarios peuvent être considérés :
Le premier consisterait pour chacun des pays de la zone franc à s’affranchir de la tutelle de la France et à battre sa propre monnaie. Ce serait la suite logique de la décision paradoxale et insensée de ces pays de démanteler en 1960 les structures fédérales qui les unissaient tout en préservant une monnaie commune. Les obstacles à cette démarche sont relatifs au droit de veto de la France et au manque d’intérêt des petits pays de la zone franc qui préfèrent la formule de mise en pool des réserves de change à celle de l’affranchissement qui les laisserait avec de faibles niveaux de réserves rendant leurs économies encore plus vulnérables aux chocs extérieurs.
Le second consisterait à reformer le système. Il s’agirait d’arrimer le franc CFA non pas seulement à l’euro mais à d’autres monnaies comme le dollar, le renminbi, le yen ou la livre sterling, de mettre fin à sa convertibilité, d’assouplir les politiques de crédit et d’accélérer le processus d’intégration régionale. L’ennui avec cette approche est que la greffe d’un programme d’intégration économique sur une union monétaire artificielle préexistante est difficilement praticable. Une monnaie commune implique des politiques fiscales et monétaires centralisées et unifiées, qui nécessitent elles-mêmes une intégration politique ce qui, comme les difficultés de l’euro l’ont démontré, n’est pas aisément établie entre des États nations.
Si aucune décision n’est prise et que le statu quo persiste le risque est à l’implosion. Plus la France sera confrontée à des difficultés plus elle puisera dans ses réserves africaines. La Zone franc lui a donné les moyens de résister aux bourrasques de la grande crise économique du début des années 1930s et a aidé à financer la Résistance du général de Gaulle.
Mais les pays de zone franc sont enfermés dans un cycle infernal de pauvreté et d’instabilité. Dans le présent contexte mondial de tensions, de rébellions et de crise de l’euro, ces difficultés pourraient conduire à une implosion de la Zone franc. Une telle perspective est porteuse de nombreux risques de déstabilisation.
Afin d’anticiper sur tous ces problèmes, il serait opportun que l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) initient des négociations entre les décideurs français et africains pour faire évoluer la zone franc au mieux des intérêts de tous les partis.
Sanou Mbaye
Paru dans le journal ENQUÊTE n°198 du samedi 4 et dimanche 5 février 2012