Le récent périple africain du président des Etats Unis George Bush qui l’a conduit au Sénégal, au Nigeria, en Afrique du Sud, en Ouganda et au Botswana visait quatre objectifs :
- S’attirer les faveurs de l’électorat noir américain à un an des élections présidentielles ;
- Faire main basse sur le pétrole du golfe de guinée ;
- Installer des bases militaires stratégiques ;
- Consolider l’influence économique américaine dans la région ;
Une photo opportunité à Gorée, l’île au large des cotes du Sénégal par où transitaient jadis les esclaves en direction du nouveau monde a suffi à satisfaire le premier objectif aux yeux de George W Bush. A cette occasion aucune avanie n’a été épargnée aux sénégalais. Les habitants de l’île cueillis au saut du lit ont été parqués dans un terrain vague pour des considérations d’ordre sécuritaire. Ces mêmes exigences de sécurité ont conduit à la fouille corporelle, par les agents de sécurité de l’escorte présidentielle américaine, des ministres de la république qui n’avaient pas été autorisés à l’accueillir à l’aéroport. Ces humiliations n’ont pas manqué de susciter la résurgence du passé douloureux des lieux visités. Elles marquent en tout cas de manière indélébile la soumission sans retenue du Président Wade et de son équipe à l’hégémonie américaine.
Sur le second point, la résonance des événements tragiques du 11 septembre 2001 ont servi de prétexte aux américains pour se prémunir des menaces qui pèsent sur leurs sources d’approvisionnement proche orientales en pétrole, principalement celles en provenance de l’Arabie Saoudite, leur plus gros fournisseur. D’où la détermination américaine de s’approprier le pétrole Africain qui représente 8% des réserves mondiales.
Selon le département américain de l’énergie, la production pétrolière en Afrique sub-Saharienne pour l’année 2002 a été en barils/jour de : 2 100 000 pour le Nigeria, 900 000 pour l’Angola, 283 000 pour le Congo Brazzaville, 265 000 pour la Guinée Equatoriale, 247 000 pour le Gabon, 227 000 pour le Soudan, 75 000 pour le Cameroun, 26 000 pour l’Afrique du Sud, 25 000 pour la République Démocratique du Congo et 11 000 pour la Côte-d’Ivoire.
Les Etats-Unis importent déjà d’Afrique de l’Ouest 1,5 millions barils/jour, la même quantité qu’en Arabie Saoudite, pour un investissement cumulé de 10 milliards de dollars. L’on s’attend, à terme, à ce que ces investissements atteignent annuellement le même montant pour une production globale de 770 millions de barils .
Les revenus qui en découleront sont estimés, au cours de la prochaine décennie, à 200 milliards de dollars, soit plus de dix fois ce que reçoit annuellement la région en aide publique au développement. L’intérêt d’un tel pactole n’a pas manqué de provoquer des comportements dévoyés parce que peu regardants sur le chapitre des méthodes.
Ainsi en est-il de la détermination des américains à rouvrir, sans état d’âme, leur ambassade en Guinée Equatoriale, faisant par là même litière des exactions perpétrées contre les populations de ce pays par des dirigeants qui affichent un souverain mépris à l’égard des droits de l’homme. Témoin encore, le torpillage par ces mêmes américains, sous la pression des compagnies pétrolières américaines, de la démarche de « Extractive Industries Transparency Initiative » qui avait pour but de rendre publics et obligatoires les payements effectués par les multinationales pétrolières aux gouvernements. D’où les mécomptes encourus par British Petroleum (BP) qui a manqué de se faire expulser de l’Angola pour s’être risquée à déclarer 111 millions de dollars versés à des membres du gouvernement de ce pays en guise de prébendes.
Il faut seulement redouter que dans leur recherche obstinée de sources alternatives d’énergie, les américains ne finissent par semer les germes de nouveaux cycles de conflits, de corruption et de dégradation de l’environnement. Le catalogue de telles calamités qui affectent le continent et le mauvais usage de ses ressources qui paralyse son essor sont déjà légion.
Au Nigeria, le revenu par tête d’habitant est moins de 1 dollar par jour en dépit des ressources financières colossales, provenant de la vente de son pétrole, lesquelles ont été évaluées à plus de 300 milliards de dollars ces 25 dernières années. L’on sait que cette manne, loin de contribuer au développement du pays, n’a fait qu’alimenter les comptes en Suisse de ses dirigeants et à financer dans des proportions extravagantes, des dépenses en armement et autres projets grandioses. S’ajoutent à cette liste les coups sévères portés en toute impunité à l’environnement par le compagnie Shell en pays Ogoni.
Le gazoduc Tchad – Cameroun en est un autre exemple qui démontre que les retombées attendues ne sont pas à la mesure des investissements réalisés. Long de 1000 Km, l’ouvrage a un coût estimé à 4,4 milliards de dollars financé par la Banque mondiale et la Banque Européenne d’Investissement à hauteur de 233 millions de dollars chacune, le reliquat étant reparti entre d’autres banques et les multinationales Exxon, Petronas et Chevron. Les revenus annuels escomptés pour ce projet sont de 4,7 milliards de dollars pour les banques et les multinationales, contre 62 et 18,6 millions de dollars respectivement pour le Tchad et le Cameroun.
Dans cette opération, la Banque mondiale n’a eu à accorder qu’une subvention de 15 millions de dollars pour faire face aux coûts sociaux subséquents, à savoir : la pollution des sources d’approvisionnement en eau potable, les pertes de terres de chasse pour les pygmées, de récolte et de terres cultivables pour les paysans et l’influx massif de travailleurs immigrés, avec son cortège de maux qui ont nom prostitution et sida.
S’agissant du troisième point, l’intention avérée des américains d’essaimer des bases militaires sur tous les points stratégiques du continent répond à un double objectif. Le premier consiste à protéger les puits pétroliers et le second à mener une croisade anti-islamique déguisée sous le couvert commode de la lutte contre les « bases d’al-Qaida » qui sont supposées se trouver au Soudan, en Somalie et au Yémen. A Djibouti où stationnent des troupes américaines, le gouvernement s’exécute en expulsant les ressortissants des pays qui essuient les foudres de Washington s’exposant du coup à un déficit de main d’ouvre.
Quant au quatrième objectif, la consolidation de l’influence économique des américains en Afrique, il s’articule autour de l’ African Growth & Opportunity Act (AGOA), système par lequel des facilités d’exportation sont offertes aux pays africains. Les modalités de fonctionnement de l’AGOA en disent long sur les intentions américaines. Sur les produits exemptés de droits de douane exportés par ces pays aux Etats-Unis, 95% concernent les produits pétroliers.
De surcroît, l’une de ses dispositions léonines fait obligation aux pays africains désireux d’être éligibles au programme de s’engager résolument dans la voie du libéralisme économique et d’éliminer les barrières douanières, les exposant ainsi à ne plus être que des ghettos à allure de souks universels. Il n’est que de se référer, pour s’en convaincre, aux délocalisations opérées en Afrique par les entreprises occidentales en quête de main d’ouvre bon marché, à seule fin de soutenir la concurrence face à des pays comme l’Inde ou la Chine. En Ouganda, la firme qui fabrique des vêtements pour des marques telles que Target, Sportif USA et Gap, a choisi d’importer son coton des Etats-Unis plutôt que de recourir à la production locale parce que le coton américain coûte deux fois moins cher que celui de l’Ouganda du fait de l’octroi de 4 milliards de dollars de subventions aux 25 000 producteurs américains de coton. Ces largesses inouïes ont eu pour résultat de réduire artificiellement de 40% le prix du coton américain. Les producteurs Ougandais en font donc les frais tandis que l’Ouganda ne tirait, en revanche, des facilités d’exportation américaines sous le régime de l’AGOA que 32 000 dollars de revenues d’exportation cette même année 2002, ce qui est proprement dérisoire.
Comme l’Ouganda, les autres pays producteurs de coton en Afrique et dans le monde ont aussi été victimes de cette politique inique qui ne laisse pas de les pénaliser. C’est ainsi que des pays tels que le Burkina Faso, le Bénin, le Mali, le Tchad ou le Brésil ont saisi l’ OMC pour dénoncer ces pratiques déloyales lors de la conférence de l’ OMC qui s’est tenue à Cancun (Mexique) du 10 au 14 Septembre 2003. L ‘OMC dont le rôle devait être de tenter de remédier à ces excès, a au contraire, comme de coutume, opt é pour un mode plus secret et moins transparent de consultations. Le processus est caractérisé par des procédures inventées au coup par coup pour répondre aux intérêts des puissants. Il est heureux que les délégations africaines aient refusé de se laisser enfermer dans cette stratégie de l’opacité pour ne s’en tenir qu’à l’engagement pris par les pays industrialisés, il y a 18 mois à Doha, de consacrer l’ordre du jour des négociations de Cancun au développement. Leur détermination à axer leurs revendications sur les questions relatives aux subventions agricoles des européens et des américains a conduit à un échec de la conférence qui est de bon augure en ce qu’il préfigure une solidarité qui a toujours cruellement fait défaut aux africains et dont ils ont besoin pour combattre les injustices dont ils sont victimes depuis des temps immémoriaux. Mais il faut aussi, sous l’impulsion d’une volonté politique commune, veiller à faire un meilleur usage des ressources nationales, notamment énergétiques et à moraliser la vie publique.
Sur l’usage des ressources, il serait infiniment souhaitable que les pays producteurs de pétrole du golfe de guinée fassent leurs les conclusions d’une étude récemment publiée sur les stratégies de développement qu’ont adoptées les pays d’Amérique du nord, de l’Union Européenne et d’Asie de l’est * . Celle-ci établit que les stratégies en question ont toutes eu pour fondement la régulation des investissements étrangers à seule fin de contribuer au développement réel des pays concernés, et non à leur appauvrissement. L’étude fait notamment observer qu’obligation avait été faite aux firmes désireuses de s’installer de conclure des partenariats avec des entreprises locales. C’est seulement quand une industrie locale avait atteint un certain niveau de sophistication et de compétitivité qu’un gouvernement s’orientait vers une plus grande ouverture de son économie et à la levée partielle de ses mesures protectionnistes.
Sur la moralisation de la vie publique, il est indispensable de mettre fin aux gabegies auxquelles nous assistons, s’agissant de l’utilisation des deniers publics. Dans un continent aussi exsangue que l’est l’Afrique, il est extrêmement révoltant de constater la désinvolture avec laquelle certains dirigeants dilapident les ressources de leurs pays, en témoignent les dépenses inconsidérées qu’ils font supporter à leurs budgets par l’achat et l’entretien d’aéronefs. Les ministres et autres personnalités qui ne peuvent concevoir autrement leurs déplacements qu’en première classe avion ou en grosses cylindrées dont sont encombrés les parcs automobiles gouvernementaux, ne font guère mieux pour limiter les dégâts.
Lorsque les mesures préconisées seront complétées par une vigoureuse chasse à la corruption, il sera alors possible pour les opprimées de rêver d’espoir et de justice car si les choses restent en l’état, il faudra alors redouter qu’elles ne finissent par provoquer un embrasement généralisé dans tous les pays pauvres qui subissent la dure et inique loi des nantis. Un scénario rêvé pour l’administration Bush qui verrait là un prétexte idéal pour venir s’installer en forces d’occupation comme en Irak, prédestinée par sa vocation d’architecte et de gardienne du désordre mondial.
Sanou Mbaye
* Le Programme des Pays du Nord s ur l’Investissement à l’ OMC: Faites ce que nous disons, pas ce que nous avons fait par Ha-Joon Chang (Université de Cambridge) et Duncan Green (CAFOD) South Centre/CAFOD, Juin 2003