La nouvelle perception du monde des affaires de l’Afrique est à l’optimisme. Les perspectives économiques du continent n’ont jamais été aussi encourageantes depuis les indépendances. Selon le prestigieux bureau de consultation McKinsey, l’Afrique a été, en 2009, le deuxième contributeur à la croissance économique mondiale derrière l’Asie. Le continent est également celui où les taux de rentabilité sur investissements sont les plus élevés comparés aux autres régions en développement et les investissements directs étrangers y sont en forte hausse. Ils sont passés de 9 milliards de dollars en 2000, à 62 milliards en 2008. Et déduction faite des investissements dans l’exploitation pétrolière et gazière, c’est l’Afrique du Sud qui est le plus gros investisseur sur le continent, non la Chine, l’Europe ou les Etats-Unis.
Les transferts des émigrés représentent la seconde source de devises après les investissements directs étrangers. Une étude réalisée par le Fonds International pour le développement agricole (FIDA) basé à Rome a indiqué que les quelque 30 millions d’Africains vivant en dehors de leurs pays d’origine envoient tous les ans plus de 40 milliards de dollars à leurs familles et aux membres de leurs communautés demeurées chez eux. Des études récentes révèlent que les dépenses d’éducation et de santé, l’achat de terrains, la construction de maisons et la mise sur pied d’entreprises comptent parmi les premières destinations des investissements financés par ces transferts. Ils représentent 36% des investissements au Burkina Faso, 53% au Kenya, 57% au Nigeria, 15% au Sénégal et 20% en Ouganda. Les dépenses d’éducation viennent en seconde position au Nigeria et en Ouganda, en troisième position au Burkina Faso et en quatrième position au Kenya.
Les compagnies multinationales de télécommunications ont enregistré 316 millions d’abonnés depuis 2000, soit plus que la population entière des Etats-Unis. L’Afrique dispose de 60% des terres cultivables non exploitées du globe. Dans un monde menacé de famine grandissante par l’explosion des prix des denrées alimentaires, un tel actif est d’une valeur inestimable.
La jeunesse africaine est un autre atout de croissance. Dans la décennie à venir, l’Afrique sera le seul continent où la population en âge de travailler continuera de croître. En 2045, leur nombre se chiffrera à 1,1 milliard, plus que la Chine et l’Inde. Face aux multiples problèmes qui se posent à l’Afrique, la formation de cette jeunesse, particulièrement dans les domaines scientifiques, sera la gageure des décennies à venir. La création en septembre au Sénégal, de l’Institut africain des sciences mathématiques comme il en existe déjà en Afrique du Sud répond à cet impératif. Un tel institut va être implanté en réseaux dans toute la région : au Bénin, à Madagascar, au Soudan, en Ouganda, au Gabon, au Cameroun, au Maroc, en Algérie, au Congo, en République Démocratique du Congo, au Mozambique, au Rwanda, en Tanzanie, en Côte d’Ivoire, au Botswana, en Zambie, en Egypte et au Malawi. Il invitera des professeurs du monde entier, pour des formations dispensées à des étudiants de tout le continent.
Dans le domaine tout aussi stratégique des technologies de l’information et de la communication, Google et Microsoft soutiennent activement des entrepreneurs locaux pour promouvoir la création et le développement de nouvelles entreprises africaines de technologie.
Le pouvoir d’achat des africains s’est accru. Durant la décennie passée, le nombre des consommateurs de la classe moyenne – ceux qui dépensent 2 à 20 dollars par jour – a augmenté de plus de 60% et représente 313 millions, suivant un rapport de la Banque Africaine de Développement. Ce nombre est comparable à celui de la classe moyenne en Chine et en Inde. La propension à consommer et à épargner ainsi que la capacité d’investir de cette classe moyenne constituent de puissants moteurs de croissance.
L’environnement politique s’est également grandement amélioré. Les troubles postélectoraux en Côte d’Ivoire, au Nigeria ou en Guinée peuvent obscurcir le fait que des élections libres et des transitions politiques paisibles ont eu lieu dans une majorité de pays comme au Sénégal, au Mali, en Zambie, en Afrique du Sud, en Ile Maurice, au Botswana, au Cap Vert, aux Seychelles et en Namibie et dans bien d’autres. Des dirigeants plus soucieux des intérêts de leurs pays et du bien-être de leurs populations prennent de plus en plus le relais des autocrates et des qui continuent à gouverner dans bon nombre de pays de la région.
Les pays d’Afrique disposent aussi d’un meilleur environnement économique. Confrontés dès les années 1970s à une crise de la dette, ils ont mis en place durant des décennies sous la férule du Fond monétaire international et de la Banque mondiale des programmes d’ajustement structurels drastiques incluant dévaluation monétaire, déréglementation des taux de change et du marché du travail, politique de taux d’intérêt élevés, dérégulation financière, libéralisation des échanges, privatisation, réduction des salaires, compressions budgétaires et licenciements massifs. Au prix de tant de sacrifices les comptes des Etats ont été assainis. L’inflation a été divisée par deux depuis les années 1990, et les réserves de devises étrangères ont augmenté de 30 %. Les finances publiques ont affiché un excédent de 2,8 % du PIB en 2008, par rapport au déficit de 1,4 % du PIB en 2000-2005. Les taux d’épargne se situent entre 10 et 20% et la dette extérieure est passée de 110 % du PIB en 2005, à 21 % en 2008.
Depuis 2000, les pays d’Afrique subsaharienne ont réalisé une croissance économique moyenne de 5-7%. En 2008, le montant combiné de leur PIB s’est élevé à 1,6 mille milliards de dollars et les dépenses de consommation à 860 milliards de dollars. Durant la récession mondiale de 2009, l’Afrique et l’Asie ont été les deux seules régions du globe où le PNB s’est accru. Le Fonds monétaire international estime qu’en Afrique subsaharienne le taux de croissance moyenne sera de 5,5% en 2011 et 6% en 2012.
En revanche, avec des taux de croissance anémiques de 2,5-3% les pays francophones d’Afrique de l’ouest demeurent les laissés-pour-compte de ces progrès. Leurs économies sont totalement contrôlées par les firmes françaises: Bolloré a la mainmise sur les ports et les réseaux ferroviaires ; Bouygues est à la tête de la majorité des projets de construction ; Total détient des parts importantes des sociétés de raffinage et d’exploration pétrolière ; France Télécom est le principal actionnaire des réseaux de téléphonie fixe et mobile ; la Société générale et BNP-Paribas (BICI) contrôle les activités bancaires et Air France monopolise le trafic aérien.
Les politiques monétaires, de change et de crédit sont formulées au sein du Trésor français. Elles sont taillées sur mesure pour servir exclusivement les intérêts des entreprises de l’Hexagone. Elles s’articulent sur un taux de change fixe et une convertibilité du franc CFA, la monnaie commune des pays membres de la Zone Franc. L’arrimage du franc CFA à l’euro à un taux de change fixe surévalué protège les entreprises françaises contre tout risque de dépréciation de leurs actifs et des profits gargantuesques qu’elles engrangent. En revanche, il lamine la productivité des pays africains et remet aux calendes grecques toute ambition d’industrialisation qu’ils pourraient nourrir.
En ce qui concerne la libre convertibilité du franc CFA, elle permet aux entreprises françaises de rapatrier librement leurs bénéfices en France et non de les réinvestir. Il en résulte une fuite massive des capitaux qui font de la Zone Franc un espace économique où les flux financiers sont négatifs, c’est-à-dire, en clair, que les capitaux qui en sortent sont supérieurs à ceux qui y rentrent. Le scandale de cette situation réside dans le fait les Africains doivent payer pour se faire arnaquer de la sorte en déposant 50% de leurs réserves de change, soit plus de 25 milliards de dollars selon les chiffres publiés par la France, données inaccessibles aux autorités africaines et qui n’ont jamais fait l’objet d’un audit indépendant.
Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant au fait que les pays francophones d’Afrique soient non seulement exclus du vent de changement qui souffle actuellement sur le continent, mais qu’ils soient également le théâtre de guerres civiles et étrangères, de coups d’Etat militaires et civils, de prédation, de corruption et de trafics en tous genres.
Pour mettre fin à cette descente aux enfers de ces pays encore englués, cinquante après leurs indépendances, dans le pacte colonial qui les lie à la Métropole, il est impératif de procéder a des reformes en profondeur des règles qui régissent la Zone Franc. En tout premier lieu ces réformes doivent porter sur l’abolition de la convertibilité du franc CFA. Dans l’état actuel du développement des économies des pays de la zone franc, la norme, en matière de politique de change, devrait reposer sur l’inconvertibilité´ et l’intransférabilité´ du franc CFA. A cet égard, il est opportun de rappeler que pendant longtemps, la monnaie française elle-même n’était pas convertible. L’échange de francs français contre des devises n’était pas libre, mais réglementé. Une convertibilité externe du franc, rétablie en 1958 pour les non-résidents, n’était pas non plus totale pour les résidents. Par exemple, ceux-ci ne pouvaient pas sortir des capitaux hors des frontières sans autorisation administrative. Quant au géant chinois, soucieux de ne pas faire peser des risques importants sur sa croissance économique par une sortie incontrôlée de devises, il n’autorise pas la libéralisation de son marché des changes, et sa monnaie, le renminbi, n’est pas librement convertible.
En second lieu, la politique de taux de change fixe imposée aux pays de la zone franc est une aberration à laquelle il faut mettre fin. Depuis l’abolition de l’étalon or et des taux de change fixe en 1972 par Nixon, les cours des monnaies sont flottants et la stratégie monétaire des pays consiste à maintenir au niveau le plus bas possible le taux de change de leurs monnaies afin d’accroitre leur compétitivité et le volume de leurs exportations. C’est dans une telle poursuite que s’inscrit ce qui est connu comme la « guerre des monnaies » entre les pays industrialisés et ceux émergents. Le franc CFA ne saurait logiquement faire exception et devrait être non seulement flottant mais être arrimé non exclusivement à l’euro mais à un panier de monnaies incluant des devises telles que le dollar, le yen, le renminbi et la livre sterling.
A ces reformes monétaires et de change s’ajouterait une réforme du secteur privé. Il est impératif de légiférer pour faire recapitaliser les entreprises privées et réserver au moins 30 à 40% des actions a émettre aux nationaux a l’instar de ce qui s’est passée par exemple en Afrique du sud, au Zimbabwe, au Kenya et au Ghana. Une politique de recapitalisation bien préparée et bien menée offrirait aux détenteurs africains de capitaux exilés la possibilité d’acquérir des actifs dans des secteurs hautement profitables (électricité, gaz, télécommunications, transport, banques, etc.). En règle générale, la rentabilité qu’offrent de tels investissements stimule la mobilisation de l’épargne interne et le retour des capitaux exilés. Salomon Brothers, la banque américaine d’investissement, avait estimé à 40 milliards de dollars le retour des capitaux exilés dont avaient joui en 1991 les économies d’Amérique Latine, notamment le Mexique, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine et le Chili. Ces flux avaient atteint 56 milliards de dollars pour la Chine de 1989 à 1991. Des économies du Moyen-Orient ont également bénéficié de ces retours de capitaux lorsque le congrès américain vota le « patriotic act » qui menaçait de saisir les actifs de toute personne ou organisation soupçonnée de liens avec le terrorisme international. Cela eut pour conséquence de susciter une réaction de peur chez les Arabes qui avaient placé leurs avoirs aux États-Unis. Ils rapatrièrent leurs capitaux. Dubaï et l’Arabie Saoudite furent alors inondés de ces fonds. Pour ce qui est des africains, la crise majeure qui s’amorce et la confiscation de leurs avoirs dont ils sont régulièrement sujets ou menacés devraient les inciter à rapatrier leurs capitaux comme l’ont fait les arabes, et ce d’autant que les taux de rémunération qui leur sont offerts sont bien plus supérieurs en Afrique qu’ailleurs.
Ces réformes sont d’autant plus urgentes que le niveau d’endettement de pays tels que le Portugal, l’Irlande, la Grèce, l’Italie ou l’Espagne est une menace non seulement pour la devise européenne, mais également pour l’économie mondiale. Les premières victimes d’une telle crise seraient les pays de la Zone Franc dont les économies ne sont que des excroissances de l’économie française, le deuxième principal membre de la zone euro après l’Allemagne. Etant encore aux prises avec les conséquences dévastatrices de la dévaluation de 100% en 1994 du franc CFA, une autre secousse monétaire sismique finirait par désintégrer leurs fondations économiques avec des conséquences incalculables pour leurs populations déjà en proie à un grand degré de précarité et d’insécurité.
Sanou Mbaye
Sallahou Bodian says
La transférabilité ne pourrait cesser tant que nos dirigeants n’auront pas récupéré leur fonds placés à l’étranger et arrêté de placer leurs fonds,le plus souvent détournés,dans les banques étrangères .je ne suis pas pour un virement immédiat au régime flottant car l’économie de la zone franc voire sa « finance » n’est pas prête pour ce type de système aussi risqué. Il y a un certain nombre de dispositions à mettre en place au sein de notre économie avant de passer au système flottant. Cependant je suis pour l’arrimage du CFA à plusieurs monnaies tout en restant dans le système fixe car il faut corriger le déséquilibre c’est-à-dire l’injustice dont est victime notre économie comme vous l’avez soulignée. La France continuer de manière accrue à exercer l’emprise qu’elle a gagnée sur nous lors de la colonisation. La zone franc est victime de la colonisation financière et économique. et les africains sont contents lorsque des Hommes comme vous dénoncent ces faits. Cela prouve qu’une colonisation intellectuelle ne saurait passer. Courage