Le continent africain qui traverse la période économique la plus prospère de son histoire est en passe de devenir le deuxième fer de lance de l’économie mondiale après l’Asie. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette nouvelle embellie des économies africaines.
Confrontés dès les années 1970 à une crise de la dette, les pays d’Afrique subsaharienne ont mis en place durant des décennies sous la férule du Fond monétaire international et de la Banque mondiale des programmes d’ajustement structurels drastiques incluant dévaluation monétaire, déréglementation des taux de change et du marché du travail, politique de taux d’intérêt élevés, dérégulation financière, libéralisation des échanges, privatisations, réduction des salaires, compressions budgétaires et licenciements massifs. Au prix de tant de sacrifices les comptes des Etats ont été assainis. L’inflation est maîtrisée, les réserves de devises étrangères et les taux d’épargne ont augmenté et dans nombre de pays les soldes des finances publiques sont plus excédentaires que déficitaires.
Les transferts des émigrés représentent la première source de rentrée de devises devant les investissements directs étrangers. Une étude réalisée par le Fonds International pour le développement agricole (FIDA) basé à Rome a indiqué que les quelques 30 millions d’Africains vivant en dehors de leurs pays d’origine envoient tous les ans plus de 40 milliards de dollars à leurs familles et aux membres de leurs communautés demeurés chez eux. Des études révèlent que les dépenses d’éducation et de santé, l’achat de terrains, la construction de maisons et la mise sur pied d’entreprises comptent parmi les premières destinations des investissements financés par ces transferts. Ils représentent 36% des investissements au Burkina Faso, 53% au Kenya, 57% au Nigeria, 15% au Sénégal et 20% en Ouganda. Les dépenses d’éducation y afférentes viennent en seconde position au Nigeria et en Ouganda, en troisième position au Burkina Faso et en quatrième position au Kenya.
Le continent est également celui où les taux de rentabilité sur investissements sont les plus élevés soit 11,4% contre 9,1% en Asie et 8,9% dans la région Amérique latine et Caraïbes. La moyenne mondiale quant à elle s’établissait à 7,1%. Les investissements directs étrangers (IDE) y sont en forte hausse. Ils ont affiché une croissance de 136% en valeur, ainsi qu’une hausse de 68% en nombre d’emplois créés. Auparavant concentrés dans les industries extractives, les IDE s’étendent désormais vers le secteur manufacturier et le secteur des services. En réalité les IDE deviennent une source majeure du financement de la diversification économique. En 2016, l’Angola, l’Egypte, le Nigeria, l’Ethiopie, le Ghana, l’Afrique du Sud, la République du Congo et le Maroc ont été les destinations favorites des IDE. Et déduction faite des investissements dans l’exploitation pétrolière et gazière, c’est l’Afrique du Sud qui est le plus gros investisseur sur le continent, non la Chine, l’Europe ou les Etats-Unis.
Les options d’emprunts et d’investissements des pays d’Afrique subsaharienne se sont également renforcées grâce à l’ouverture aux africains des marchés des capitaux. On se souviendra qu’aucun pays d’Afrique Noire, à l’exception notable de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie de l’époque (Zimbabwe), naguère gouvernées par une minorité blanche, n’était autorisé à lever des fonds sur les marchés des capitaux internationaux au début de leurs indépendances. Ils ne disposaient pas de la notation délivrée par les agences internationales de notation financière qui donne accès aux marchés des capitaux et aux investissements à long terme qu’exige le financement de tout projet de développement. Les quelques marchés des capitaux nationaux qui existaient étaient embryonnaires.
Plusieurs pays ont désormais reçu le sésame qui leur donne accès aux marchés financiers : le « rating » ou la notation financière qui leur a été attribuée par les agences de « rating ». Cette note s’est révélée, dans la plupart des cas, supérieure ou égale à celle de nations aussi industrialisées que la Turquie, le Brésil ou l’Argentine. L’intérêt des investisseurs internationaux pour les marchés africains n’a cessé de accroître ces dernières années. Ils considèrent la plupart des marchés du continent comme des marchés intermédiaires à haut rendement.
L’Afrique compte aujourd’hui 23 Bourses 1et leur capitalisation boursière combinée a explosé. Elle est passée de 257 milliards en 2000 à 1260 milliards en 2010 (2 pour cent du total mondial – soit l’équivalent de la quinzième place financière mondiale) avec en tête de liste : l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Maroc, le Nigéria, le Kenya et l’Ethiopie. Il existe également deux bourses régionales groupant les quatorze pays membres de la zone franc: la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) à Abidjan et la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC) à Libreville. Le nombre des entreprises cotées en bourse s’est également accru et s’élève aujourd’hui à plus de 2000.
Désormais, pour mobiliser les fonds nécessaires aux investissements massifs requis particulièrement dans l’agriculture, l’énergie et les infrastructures, les gouvernements africains, les sociétés publiques et privées, les banques, les sociétés d’assurance, les caisses de retraite, et les investisseurs privés locaux auront de plus en plus recours aux marchés des capitaux nationaux, régionaux et internationaux.
Les compagnies multinationales de télécommunications ont enregistré 316 millions d’abonnés depuis 2000, soit plus que la population entière des Etats-Unis. Le secteur de la construction suit la même courbe ascendante. De surcroît, l’Afrique dispose de 60% des terres cultivables non exploitées du globe. Dans un monde menacé par les aléas climatiques et par l’explosion des prix des denrées alimentaires, un tel actif est d’une valeur inestimable.
La jeunesse africaine est un autre atout de croissance. Dans les décennies à venir, l’Afrique sera le seul continent où la population en âge de travailler continuera de croître. En 2045, leur nombre se chiffrera à 1,1 milliard, plus que la Chine et l’Inde. La formation de cette jeunesse, particulièrement dans les domaines scientifiques, sera la gageure des décennies à venir. La création de l’Institut africain des sciences mathématiques n’est qu’une initiative parmi bien d’autres qui répond à cet impératif. Un tel institut va être implanté en réseaux sur tout le continent : au Sénégal, en Afrique du sud, au Bénin, à Madagascar, au Soudan, en Ouganda, au Gabon, au Cameroun, au Maroc, en Algérie, au Congo, en République Démocratique du Congo, au Mozambique, au Rwanda, en Tanzanie, en Côte d’Ivoire, au Botswana, en Zambie, en Égypte et au Malawi. Il invitera des professeurs du monde entier, pour des formations dispensées à des étudiants de tout le continent.
Le pouvoir d’achat des africains s’est accru. Durant la décennie passée, le nombre des consommateurs de la classe moyenne – ceux qui dépensent 2 à 20 dollars par jour – a augmenté de plus de 60% et représente 313 millions, suivant un rapport de la Banque Africaine de Développement. Ce nombre est comparable à celui de la classe moyenne en Chine et en Inde.
L’environnement politique s’est également grandement amélioré. Les troubles post électoraux et les tentatives çà et là de manipulation des constitutions par des politiciens soucieux de prolonger leurs mandats peuvent obscurcir le fait que des élections libres et des transitions politiques paisibles ont eu lieu dans une majorité de pays comme au Sénégal, en Zambie, en Afrique du Sud, en Île Maurice, au Botswana, au Cap Vert, aux Seychelles et en Namibie et dans bien d’autres. Des dirigeants plus soucieux des intérêts de leurs pays et du bien-être de leurs populations prennent de plus en plus le relais des autocrates d’antan dont le nombre tend à se rétrécir comme une peau de chagrin.
Cependant, l’essentiel de ces progrès semblent délaisser les pays de la zone franc. L’extraversion des économies des pays de la zone franc est telle que les taux de croissance ne s’y traduisent pas en gain de prospérité mais en surcroît de pauvreté : onze des quinze pays de la zone franc figurent, selon leur indice de développement publié par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres du monde. Et ce ne sont pas les reformes cosmétiques qui substituent l’éco au franc CFA qui y changeront grand-chose. Pour se faire, le taux de change de l’éco doit être variable, arrimé à un panier des trois devises des principaux partenaires commerciaux de la région (yuan, dollar, euro) non librement convertible et transférable et dont l’impression s’exécute non en France mais en Afrique.
Au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’organisme régional mandaté par l’Union africaine pour chaperonner les politiques d’intégration économique de ses membres, ce ne sont pas la Côte d’Ivoire ou le Sénégal qui mène la dance, mais deux pays anglophones : le Nigeria et le Ghana. Pour contrecarrer cette dominance, les pays membres de l’Uemoa n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’adopter l’éco à l’exclusion de ces deux pays sous l’instigation de Macron et de Ouattara, les présidents français et ivoirien.
Sanou Mbaye
Notes:
- Bolsa de Valores de Cabo Verde (Cap Vert), BSE (Botswana), Bourse de Tunis (Tunisie), Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM : Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Guinée-Bissau), Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC : Cameroun, Congo, Centrafrique, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad), CSE (Maroc), Dar es Salam SE (Tanzanie), Douala Stock Exchange (Cameroun), EGX (Égypte), GSE (Ghana), JSE (Afrique du Sud ), Khartoum SE (Soudan), Libyan Stock Market (Libye), LSE (Zambie), Malawi SE (Malawi), Mozambique SE (Mozambique), Nairobi SE (Kenya), Namibian SE (Namibie), Nigerian SE (Nigeria), SE of Mauritius (Maurice), Swaziland SE (Swaziland), USE (Ouganda), ZSE (Zimbabwe).
L’ASEA (Association des Bourses de valeurs africaines) en regroupe 21 sur 23 (la BVMAC et la Bourse du Swaziland n’en sont pas membres) ↩