Se basant sur l’exemple du Sénégal, Sanou Mbaye dénonce, comme à son habitude, un des maux qui minent le climat socio-politique de certains pays africains : la connivence entre les hommes politiques et les chefs religieux. Selon l’auteur de l’Afrique au secours de l’Afrique, l’allégeance des populations sénégalaises aux guides religieux, dont les attitudes sont mercantilistes, entretient l’obscurantisme.
Le revers infligé au président du Sénégal, Abdoulaye Wade, par un chef religieux qui a remis en cause sa décision de faire construire une école française à Touba, a réjoui un grand nombre de personnes. Les images juxtaposées des déclarations de Wade en la matière et du démenti cinglant que lui fit le chef spirituel ont fait la Une de la presse nationale et internationale. La joie que suscite la déconvenue d’Abdoulaye Wade chez certains aurait été légitime si elle avait célébré, comme lors des élections locales qui viennent de se dérouler, la sanction des dérives d’un pouvoir ivre de ses excès. Mais peut-on décemment se réjouir d’un tel camouflet, même si c’est Wade qui en est le destinataire ? En effet, l’opposition d’un chef religieux à l’implantation d’une école républicaine dans son fief constitue un déni constitutionnel. Pourtant, le Sénégal est, de par sa Constitution, un état laïc, une laïcité qui n’a cessé, il est vrai, d’être mise à mal par une oligarchie religieuse, avec la complicité des classes dirigeantes du pays.
Le Sénégal est confronté à des défis énormes pour reconstituer ses valeurs dilapidées, moderniser ses institutions et son appareil productif. Ce sont des esprits modernes, libérés des ténèbres de l’ignorance et guéris des stigmates de l’idolâtrie qui pourront s’attacher aux tâches gigantesques en attente, et non des forces obscures politico-religieuses dont l’engouement pour les richesses du monde n’a d’égal que l’inaptitude politique et religieuse.
Senghor sur la sellette
Sur le plan politique, l’alliance entre les élites occidentalisées à la tête du pays et les héritiers des fondateurs des deux principales confréries religieuses, Tidiane et Mouride du Sénégal, s’est instituée avec le concours intéressé de Léopold Sédar Senghor, le premier président du pays. Ce bicéphalisme politico-religieux de l’exercice du pouvoir servait les ambitions des deux camps. Celles de Senghor, que son appartenance à la communauté chrétienne fragilisait dans un pays à majorité musulmane, et celles des héritiers des chefs religieux soucieux de se constituer des rentes viagères. Senghor se servait de la délégation de pouvoir qu’il fit aux religieux pour neutraliser ses principaux opposants, d’abord Lamine Gueye, puis Mamadou Dia, des progressistes qui, bien que musulmans, voulaient, à l’instar de Sékou Toure en Guinée, croiser le fer avec les membres des dynasties religieuses qui n’avaient d’autre légitimité que celle que leur conférait leur statut de descendants d’ hommes que leurs contemporains avaient plébiscités et vénérés comme leurs chefs spirituels.
En effet, au 19eme siècle, ces hommes, El Hadj Malick SY, le propagateur de la confrérie Tidiane au Sénégal, et Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur de la confrérie Mouride, jouèrent un rôle éminemment important. Ils donnèrent un nouveau sens, une nouvelle direction et une organisation sociale et religieuse régénérée à des populations plongées dans les désarrois de la mécréance et de l’occupation étrangère. En perte de repères, les populations s’identifièrent d’autant plus à ces héros qu’ils incarnaient non seulement des qualités humaines hors du commun, mais ils étaient également auréolés d’un halo d’érudition, d’ascétisme et de sainteté.
L’attitude des marabouts ne devait rien à la spiritualité mais tout au mercantilisme
Sur le plan économique, la coalition des élites politiques et religieuses a contribué à asseoir l’économie du pays sur une seule culture de rente, l’arachide. Un choix scellé par l’opposition radicale des pouvoirs religieux aux programmes de reforme du secteur agricole du premier président du conseil du Sénégal, Mamadou Dia. L’attitude des marabouts ne devait rien à la spiritualité mais tout au mercantilisme. Ils avaient une mainmise totale sur la culture de l’arachide qui constituait leur principale source de revenus, et celle du pays. Mais, la culture de l’arachide a la caractéristique de transformer les terres arables en terres arides. Avec l’épuisement continu des sols, des cultivateurs, pour trouver de nouveaux sols plus riches, émigrèrent en grand nombre vers les terres grasses de Casamance, bouleversant le rythme des cultures traditionnelles de cette région du sud et causant de graves problèmes politiques, fonciers et communautaires qui ont engendré des conflits dont les retombées se font sentir encore aujourd’hui. Pire, le maintien de l’appareil productif hérité du pouvoir colonial français, et dont l’arachide constitue la pièce angulaire, demeure l’une des causes premières des ennuis présents et passés du Sénégal.
Sur le plan social, l’allégeance des populations à des guides religieux qui se distinguent d’avantage par leur affairisme, leur esprit du lucre, leur insatiable propension à consommer et leur capacité à vivre sur le dos de l’Etat et des contribuables, que par leur contribution à l’éducation religieuse et à l’éveil des esprits et des consciences. Ils entretiennent un obscurantisme des esprits qui se nourrit de la survivance de croyances et de pratiques d’un autre âge : idolâtrie, sorcellerie, charlatanisme, superstitions, etc.
En conclusion, ne nous réjouissons pas du camouflet infligé à Wade par le maitre de Touba, car ce revers là est aussi celui de la république et des forces progressistes du changement.
– Ressortissant sénégalais basé à Londres, auteur de « L’Afrique au secours de l’Afrique », Les éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, France, 2009″
Meissa Ndiack Seck says
Exactement 11 ans après cet article de Mr Mbaye, le bicéphale politico-religieux est encore d’actualité au Sénégal.
Le mal de l’obscurantisme religieux a ses racines si profondes que le peuple dans sa majorité croit encore à son Marabout qui l’attendra dans un petit coin quelque part dans l’au-de-là, juste avant le jugement de Dieu….
Les Présidents Diouf et Wade sont passés et le Président Sal, en bon élève, suit leur traces pour pérenniser son pouvoir. Qui est fou ? si ce n’est » Anango qui vend bol et mange dans papier » !!!
Le Monde a certes bien avancé et quand les africains se réveilleront peut-être qu’ils seront seuls présents sur Terre car les autres peuples auront déjà déménagé dans une des nébuleuses de la Voie lactée.
Le sénégalais doit ouvrir son esprit.
Petit Nègre says
Avoir le cul entre 2 chaises
Lorsque Bisso na Bisso utilisait cette phrase pour décrire la situation des émigrés ayant grandi en Afrique, je n’aurais jamais pensé que cette situation pouvait se produire au bled même, et pourtant. Quand j’ai eu l’âge de raison on m’a expliqué à l’école qu’il y avait 3 pouvoirs dans une démocratie: les pouvoirs exécutifs, parlementaires et judiciaires. Quand je suis devenu suffisamment grand on y a rajouté un 4ème pouvoir, celui des média. Mais ce qu’on m’avait pas dit, c’est qu’au bled, il y a un 5ème pouvoir : celui des religieux ou des traditionalistes.
En lisant la tribune de Sanou Mbaye sur Afrik.com cela n’a fait que me rappeler l’un des problèmes que j’espère spécifique au continent africain. Ce que Mr Mbaye appelle le bicéphalisme politoco-religieux, moi j’appelle cela avoir le cul entre 2 chaises.
Qui en Afrique n’a pas été confronté de près ou de loin à une situation où agir selon la loi républicaine était en contradiction avec les coutumes de son bled ? Qui ne sait pas vu reprocher son approche occidentale des problèmes voire son manque de connaissance de l’Afrique bien qu’étant né et ayant grandi au bled ? Tous cela parce que l’on fait fi des coutumes ou de la pression des nouvelles églises religieuses qui foisonnent au bled.
Si il y a bien une chose que mon vieux m’a appris c’est que :
« les lois comme les coutumes ont été faites par des hommes. Et ce que l’homme a créé, il peut le modifier, le faire évoluer ou le détruire. »
Le plus pathétique dans cette histoire, c’est que nos dirigeants sont également confrontés à ce problème. Et, en bons politiciens, ils ont choisi la moins pire des solutions. D’un côté, ils désirent être reconnu comme Chef de Village, patron incontesté du bled dans et en dehors de leur territoire, mais de l’autre, ils ne tiennent surtout pas à bousculer l’ordre établi et ils font des pieds et des mains pour respecter l’ordre ancien, tant que celui-ci leur assure la paix et surtout leur place. De cette situation, fortement gênante pour leur postérieur, nait un problème quasi insoluble. Comment gérer (efficacement ou non d’ailleurs) le bled, si le pouvoir acquis (démocratiquement ou non) peut-être remis en cause pas un pouvoir obscure, dépassé, et dont la sphère d’influence empiète clairement sur leurs prérogatives ?
Nos dirigeants jouent donc aux équilibristes du dimanche alors que le sujet est très sérieux et que les chaises ne sont pas de bonne qualité. Mr Mbaye parle du cas sénégalais, je pourrais vous parler du cas béninois. In fine, il faudra bien qu’un jour les africains sachent ce qu’ils veulent. Si c’est la démocratie pleine et entière que vous voulez, il est temps de délimiter clairement leur place aux roitelets, marabouts, chefs spiritueux et autres sorciers. Personnellement, si ils pouvaient se contenter de concurrencer les peoples dans les colonnes des magasines pour ménagère de moins de 50 ans, comme en occident, cela ne me dérangerait vraiment pas. En revanche si c’est la tranquilité qui vous motive, ne venez plus vous plaindre si votre postérieur vous démange. 🙂
Sanou Mbaye says
J’aime ce commentaire juste, mais cocasse également. Il n’y a rien de tel que l’humour pour relativiser et échapper a la dépression face a nos pratiques moyenâgeuses. Bravo et virons l’obscurantisme. C’est le prix a payer pour la modernisation de nos esprits et de nos sociétés, seul gage de d’un avènement démocratique au bled.
Keep the fighting spirit alive
sakhly says
je pense ; MR Mbaye , que votre analyse de la situation politico _religieux du Senegal corespond veritablement a la honteuse realite d un pays pris completement en otage par un spiritualisme aveugle.CEtte complicite des religiuex et de l etat est grave et accentue l exploitation et la dependance dela misere du peuple senegalais;aujour d hui la Repulbique s effondre devant des piussances qui de plus en plus prenent de la place au detriment dun etat republicain laique et fort.IL faut restaurer la veritable demorcatie en luttant contre l obscurantisme des populations et refuser que l etat soit confisquer par dse lobbies dont le seul but est de s enrichir ou de se maintenir au pouvoir par tous les moyens
Sanou Mbaye says
Tout a fait d’accord avec vous Sakhly et il devient urgent de combattre les superstitions, les ignorances et les obscurantismes et tous ceux qui font le fonds de commerce. La restructuration de la personnalité du Noir et la construction de l’Afrique sont a ce prix.
Bathie says
Merci Monsieur Mbaye,
« Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans »
Condorcet
DEME says
Sanou,
C’est un vrai problème que vous posez, peu de Sénégalais savaient qu’à Touba il y avait une interdiction d’avoir une école » Française ». Il nous faut un jour, un régime qui ose sortir de cette situation.
Ton propos est juste sur le fond.
Sanou Mbaye says
Je suis tout a fait d’accord avec toi Mamadou. De toute façon, je ne vois pas comment on peut bâtir une société moderne avec des attitudes pareilles.
Anonyme says
Merci, ce qui est frappnt c’est le silence assourdissant des intellectuels sur cette question et pourtant tres prolixes a donner des lecons. Mais le vrai probleme c’est la prostituion de l’Etat, l’informalisation des institutions. Un chef d’Etat qui incline la republique aupres de son marabout, ce melange des genres d’un mauvais gout ne nous honore pas. Laissez nos enfants aller apprendre l’art de vaincre sans avoir raison. merci et vive le senegal qui progresse.
Albert says
WADE EN QUELQUES MOTS le plus versatile du monde, corrompu-corrupteur chevronné, bavard, vaniteux, impoli et arrogant, malgré toutes les casserolles vides qu’il traine, les squelettes qui débordent dans ses armoires, il se permet de prétendre de diriger le Sénégal ! Et certains applaudissent !Le drame du Sénégal c’est ça.
Anonyme says
Cher monsieur, merci pour votre contribution. Je tiens à vous dire que pour faire une affirmation aussi grave, il faut deux préalables au moins. Le premier, c’est maîtriser l’histoire et vérifier ces sources. Cheikh Ahmed Tdiane Sy n’est pas le fondateur de la confrérie Tidiane, comme vous l’écrivez. C’est son homonyme, Cheikh Ahmed Tidjane Cherif Fatimy Hassani Mouhamadiyi. Le deuxième, en osant déclarer que « L’attitude des marabouts ne devait rien à la spiritualité mais tout au mercantilisme », aucun intellectuel ne peut se contenter d’un argument aussi superficiel comme vous le faites, du moins si vous prétendez changer les mentalités et les opinions à ce sujet. Je vous conseille, pour mieux assoir votre hypothèse, trouvez d’autres arguments (je ne suis pas de votre avis, mais je sais que, intellectuellement, vous pouvez avoir des éléments fondateurs de votre hypothèse), il suffit de faire le travail ; ensuite faites une analyse approfondie si vous voulez atteindre au moins les esprits superficiels. Merci et bon courage.