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Le G20 a annoncé, jeudi, une pléiade de mesures pour combattre la crise internationale et relancer l’économie mondiale. Certaines de ces décisions concerneront de façon directe ou indirecte l’Afrique. Sanou Mbaye, économiste et auteur de [intlink id= »1061″ type= »post »]L’Afrique au secours de l’Afrique[/intlink], analyse les décisions de cette rencontre pour Afrik.com.
lundi 6 avril 2009, par Stéphane Ballong
Le monde est plongé dans une dépression économique qui, à l’instar de celles de 1873 et de 1929, représente une crise structurelle du capitalisme, affirme Sanou Mbaye, économiste, ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD). « Il a fallu vingt et quinze ans respectivement pour résorber ces deux crises », indique-t-il, ajoutant que la crise présente ne fera pas exception. Une nouvelle fois, l’auteur de L’Afrique au secours de l’Afrique, qui réside à Londres et a suivi de près le sommet du G20, veut mettre les Africains devant leurs responsabilités. Il estime qu’en dépit des difficultés et des misères qu’elle engendre, cette crise peut être à l’origine « de changements radicaux et révolutionnaires. Ceux-là même dont l’Afrique a désespérément besoin ».
Entretien:
Afrik.com : Les décisions prises par le G20, à savoir, l’injection de mille milliards de dollars dans l’économie mondiale, seront-t-elles bénéfiques aux pays pauvres d’Afrique?
Sanou Mbaye : Oui et non. Le désavantage pour l’Afrique des injections massives d’argent dans les plans de relance occidentaux résulte du mode de financement des sommes colossales en question. Les pays occidentaux vont recourir à l’emprunt et à la planche à billets pour financer ces plans de stabilisation économique, de sauvetage de leurs systèmes bancaires, et des mesures de soutien à la consommation et à l’investissement qu’ils ont édictés. Ces politiques sont porteuses d’inflation. Les prix et les taux d’intérêt vont grimper et atteindre des niveaux stratosphériques à terme, plongeant le monde dans une longue période de dépression économique avec des conséquences catastrophiques pour des populations africaines déjà confrontées aux pires difficultés.
Afrik.com : Qu’en est-il des régulations du système financier international ?
Sanou Mbaye : Elles sont les bienvenues, surtout en ce qui concerne la décision de mettre fin au secret bancaire dans les paradis fiscaux. L’objectif des pays promoteurs de cette résolution, notamment la France et l’Allemagne, est d’identifier les capitaux exilés dans ces paradis fiscaux afin de les taxer, ce qui va contribuer à augmenter leurs recettes fiscales, pactole particulièrement souhaité en ces temps de crise, d’amenuisement des rentrées fiscales et de rareté de crédits.
De même, l’identification et la taxation des capitaux africains exilés, estimés à 400 milliards de dollars, permettraient de rapatrier une partie de ces sommes sous forme de recouvrement des évasions fiscales dont ils sont à l’origine. Encore faudrait-il que le président français, Nicolas Sarkozy, aille jusqu’au bout de sa croisade contre les paradis fiscaux. Car la France, depuis qu’elle a mis en place un système de contrôle des changes du franc CFA, en 1993, est devenue la seule destinatrice et le vrai paradis fiscal des capitaux exilés des pays de la zone franc et des milliards de dollars de réserves en devises de ces pays. L’Hexagone séquestre et use de ces fonds à son bénéfice, sous le prétexte fallacieux d’une convertibilité du franc CFA qui ne profite qu’à lui et à ses affidés qui sont aux commandes dans ces Etats Africains.
Afrik.com : Grâce à ce G20, le FMI reprend une place centrale dans l’économie mondiale. Est-ce que, pour les Africains, cela peut être inquiétant sachant que le FMI a été à l’origine des plans d’ajustements structurels imposés aux pays africains dans les années 1980, avec les conséquences désastreuses qu’ils ont eu sur les populations ?
Sanou Mbaye : Lorsque les pays du Sud sont confrontés aux problèmes que l’Occident rencontre aujourd’hui, à savoir l’insolvabilité bancaire, la restriction de crédits et le recul de la production, des programmes d’ajustement structurel leur sont systématiquement imposés. Précisons que des 1000 milliards de dollars que le G20 a décidés d’injecter dans l’économie mondiale, 750 milliards sont alloués aux pays dits en difficulté. C’est-à-dire, aux pays d’Europe, particulièrement ceux d’Europe du Centre et de l’Est, qui souhaiteront recourir à des emprunts auprès du FMI. Pour ceux-là, la décision du sommet est de ne pas les assujettir aux conditionnalités du Fonds plus connues sous le vocable de « consensus de Washington ».
Même si ces levées de conditionnalités s’étendaient aux 50 milliards de dollars alloués aux pays pauvres, il serait temps que les Africains comprennent que l’« aide » est la source de financement la moins appropriée pour financer des projets de développement. La priorité devrait, désormais, résider dans la réduction de l’enveloppe de l’« aide » au bénéfice d’un plan de développement qui s’articule sur le dynamisme des échanges intra-régionaux, la diversification et la compétitivité des exportations, et les investissements productifs. Pour ce faire, les Africains se doivent de mobiliser leurs propres ressources en se dotant de bourses régionales et nationales de valeur afin d’engranger des investissements directs nationaux, régionaux et étrangers. La levée de fonds sur les marchés des capitaux internationaux viendra compléter cette nouvelle panoplie de mobilisation de ressources. Un recentrage des réseaux d’alliance des Africains vers les pays émergents du Sud tels que l’Arabie Saoudite, l’Argentine, le Brésil, de la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Russie, la Turquie, le Venezuela, la Malaisie, etc. parachèvera cette refonte de stratégie de développement.
Afrik.com : Les pays riches ont une nouvelle fois promis de maintenir leur aide aux pays pauvres, voire de l’accroître. Dambisa Moyo, économiste zambienne, auteure de « Dead Aid » estime que l’aide, au lieu de sortir l’Afrique de la pauvreté la rend encore plus pauvre. Partagez-vous son point de vue ?
Sanou Mbaye : Tout à fait. L’« aide » ne devrait représenter qu’une part infime des sources de financement des Etats, et ne devrait servir qu’à financer des projets sociaux qui ne s’accommodent pas de prêts commerciaux. L’« aide » ne devrait être qu’un appoint sur une période transitoire pour couvrir les investissements sociaux qui, en tout état de cause, relèvent de la responsabilité des Etats. L’« aide » telle qu’elle est distillée aux Africains, n’a eu, jusqu’à ce jour, pour finalité que de les maintenir sous perfusion, et de les enfermer dans un cycle infernal de dettes et de pauvreté. Comme nous l’avons vu, il est nécessaire de changer radicalement de modèle de développement et de reléguer ces pratiques dévoyées d’assistance aux calendes grecques.
Afrik.com : Que pensez-vous de la représentation de l’Afrique à ce sommet du G20 ?
Sanou Mbaye : A Londres, les représentants officiels africains au sommet du G20 étaient : Galema Motlante, le président sud-africain, le Gabonais Jean Ping de l’UA, Méles Zénawi, président du NEPAD et Premier ministre d’Ethiopie ainsi que le Rwandais Donald Kaberuka, président de la BAD. Mais en réalité, ce sont deux français : Christine Lagarde, ministre de l’économie de l’Industrie et de l’Emploi, et Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, qui ont été les éminences grises des Africains à ce sommet. En effet, on se souviendra qu’en vue de la préparation du sommet de Londres, Christine Lagarde avait réuni à Paris, le 22 Mars 2009, les principales autorités financières de la zone Franc. Les participants s’étaient félicités que, face à l’impact de la crise financière et économique majeure qui secouait le monde, la parité fixe qui unit le Franc CFA à l’euro s’était révélée un élément de stabilité, fournissant « un ancrage solide pour la politique macroéconomique et une protection efficace contre une crise de balance des paiements ». Un diagnostique tout à fait en porte à faux avec la déprimante réalité économique qui prévaut dans ces pays.
Quant au Directeur du FMI, il avait convoqué en réunion les 10 et 11 mars 2009 les ministres des finances africains en Tanzanie, avec comme ordre du jour : la construction d’un « nouveau partenariat » entre l’Afrique et le Fonds. Dans la déclaration publiée à l’issue de cette réunion, Strauss-Kahn avait offert d’être la voix de l’Afrique dans les discussions sur la crise mondiale. Les argentiers africains avaient été acquis à cette offre et s’étaient accordés pour demander au FMI d’étendre à leurs pays « son expérience et son expertise » pour sortir de la crise. On est en droit d’être pantois face à cet endossement, quand on connait le rôle joué par les politiques du FMI dans la paupérisation de ces pays.
ranjeva pierre says
Tant que les Africains resteront à la traîne de la pensée dominante de l’eurocentrisme, de la BM et tutti quanti,
elle ne s’en sortira pas.
Comme le préconisait Samir Amin depuis des décennies,il faut nous DECONNECTER DES pays dits développés et élaborer notre propre salut;
Hélas!!! nous n’en prenons pas le chemin et creusons nous-même notre propre tombe!!! C’est ainsi que des pays africains vendent leurs terres arables au moment où est (pré)visible une CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE.
erick pessiot says
L’OMC-Organisation Mondiale du Commerce- fut, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, le bras armé d’un libre-échangisme virulent, porté par l’Ecole de Chicago, qui prétendait faire de la liberté des échanges l’alpha et l’oméga du développement des richesses du monde en détruisant non seulement les barrières douanières qui protégeaient l’économie des Etats mais aussi les limites entre public et privé entre ce qui relevait de la sphère et du domaine de l’Etat –et de l’Etat-Nation- et ce qui relève de celui et de celle du marché. Ce qui revenait à irriguer et incorporer, noyer et dissoudre les principales instances productives dans un nouveau système veineux et sanguin à horizon mondial, mais aussi a marginaliser ou supprimer entreprises et secteurs productifs qui n’obéissaient pas ou peu au niveau de rentabilité performance et rationalité globales.
Ce qui n’alla pas sans entorses profondes et multiples, parmi lesquelles les plans aciers, énergies et, surtout le secteur agricole. Tant la PAC européenne que le farm bill américain signifient bien que la philosophie générale qui sous-tend l’ensemble recule fermement devant des contradictions non plus économiques mais sociales comme par exemple la désertification des campagnes, la fin de la diversité alimentaire, un modèle de consommation uniformisé etc…
Un des premiers avatars de ce système généralisé est que l’affection d’un membre se répercute à l’ensemble du corps comme le furent les crises mexicaines, thailandaises etc…
Et aujourd’hui que l’affection est grave en raison de l’emballement du système, qu’il y a risque d’embolie , que la thrombose est là ,c’est tout le système qui doit être changé et non ses effets sur chaque secteur – dont le secteur automobile- ou dans chaque pays –retour au protectionnisme-.mais toute la philosophie qui le construisait : c est l’OMC qu’il faut casser, non comme machine mais comme machine au service d’une philosophie.
Sortir du marché ,donc, pour les secteurs marginalisés non rentable dans un système où le niveau de rentabilité se mesure à l’aune mondiale – cf Adam Smith et les avantages comparatifs- semble une nécessité absolue.
Il est clair que la généralisation des échanges permet en Afrique par exemple mais aussi dans la plupart des pays en voie de développement de mettre sur le marché des biens de consommation –alimentaires entre autre- à des prix inférieures aux prix locaux. Mais à quel coût ? Pour avoir des céréales et des aliments en général 20% moins cher c’est 20% de la population qui se trouvent privés de revenus, 20% qui ne participent plus à la création de richesse nationale mais continuent à coûter ne serait-ce qu’en termes de formation, de sécurité ou de santé. Le ‘jeu’ en vaut-il ma chandelle ? et un pays n’aurait il pas intérêt à rè-incorporer dans l’espace économique national comme producteurs contribuables et citoyens ces 20% d’évincés, de marginalisés voués à rejoindre les « autres », ceux qui n’ont pas trouvé d’emploi, faute de vivre prés d’une source de circulation des échanges et survivent dans ce que pudiquement on appelle l’économie informelle qui, rappelons le, représente souvent beaucoup plus que la moitié de l’activité économique.
C’est à cette ré-intégration dans l’espace économique et productif de la population rurale et paysanne que travaille l’association ASAS.
Pour nous il ne s’agit pas de produire à des coûts de production inférieurs à ceux définis –où ?- par le marché mondial- il s’agit clairement d’en sortir et de faire de la production agricole un secteur productif spécifique comme en leur temps l ont été la PAC et le farm bill américain. Pour cela il convient de favoriser l’auto-subsistance plus que l’échange.
La ferme-ASAS est un proto-type allant dans ce sens. C’est ce que nous entendons par effet modèlisable.
Comment faire revenir à la terre des dizaines et des dizaines de milliers de paysans qui l’ont fui ?
Comment faire en sorte que la production paysanne puisse permettre a des dizaines et des dizaines de milliers de familles de vivre ? Se nourrir, se loger, s’éduquer. Comment la rendre socialement nécessaire sinon en l’insérant dans le cadre d’une amélioration d’une nouvelle productivité non plus mesurée à l’aune et par le marché international mais à l’aune du besoin social ?
Sinon en plaçant au cœur de la relance de l’activité agricole la recherche d’une nouvelle rentabilité basée largement en priorité sur les intrants locaux, l’amélioration des sols la formation, la recherche tropicale et sa communication, l’amélioration des outils manuels agricoles et des métiers annexes induits etc….
C’est-à-dire le plus près possible de l’auto-subsistance alimentaire et sanitaire. Ce qui vient alors de » l’extérieur » n’est plus le produit ni les intrants en général –engrais chimiques, semences, traitements –ni même la technique ou les outils mais la seule connaissance .
Produire non plus pour l’extérieur avec des capitaux extérieurs et des techniques et moyens extérieurs –dans la mesure où le coût de ces outils, hors de portée de la totalité des ruraux et paysans, interdit toute participation locale autre que marginale- des produits, coton, arachides, melons ou haricots cultivés sur des dizaines d’hectares avec des tracteurs, des semis, des pesticides et engrais venus d’Europe et destinés dans leur quasi intégralité au marché européen mais produire pour les besoins locaux avec des moyens locaux en ne prenant de « l’extérieur » qu’une recherche qui met en avant un type d’intervention paysanne et indépendante, autonome et locale.
Sanou Mbaye says
la volonté politique pour traduire ce modèle en réalité n’existe nulle part en Afrique présentement. Pire, les dirigeants et membres de l’élite semblent manquer de la vision, de l’expertise, de la compétence et de l’indépendance d’esprit nécessaire a la réalisation d’un tel projet. Heureusement, nous vivons une de ces crises structurelles du capitalisme qui débouchera sur des changements fondamentaux dans l’ordre établi. Rêvons que des bouleversements actuels naitra une classe politique africaine soucieuse des intérêts des populations et désireuse de mettre en œuvre les programmes, projets et politiques que les populations appellent de leurs vœux.